Enseignement : le cœur de nos enfants dans l’indifférence

Enseignement : le cœur de nos enfants dans l’indifférence

Le 13 février dernier, un article paru dans le cahier du prof1 du journal de Montréal ayant pour titre « envoyer chier son enseignant dans l’indifférence » m’a profondément bouleversée. J’en suis encore à décanter les mots lus et à accueillir les différentes émotions qui émergent en moi. Il y a tant de détresse.

« Il faut vraiment avoir une vision merdique de l’enseignement pour oser proposer de corriger mes lacunes afin d’agir adéquatement face à des élèves violents. Je ne suis pas policier ni agent de sécurité. Je ne travaille pas dans un département de psychiatrie ni dans un centre jeunesse. Je veux juste enseigner. En paix. », un passage de l’auteur en réponse aux propos d’Égide Royer2 qui ne laisse pas indifférent.

Un département de psychiatrie. À pareille date l’an dernier, la régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) nous rapportait des données sur la consommation des antidépresseurs qui avait bondi de 28% chez les moins de 14 ans! 85% chez les moins de 4 ans! Le Québec est également le champion canadien de la prescription des psychostimulants3 . La médicamentation est la solution rapide. Depuis plusieurs années et remarquablement depuis la pandémie, une augmentation de réactivité émotionnelle a été observée. Cela s’est traduit par une hausse des troubles d’apprentissage, de concentration, de la démotivation, des troubles alimentaires, anxieux, dépressifs, addictifs. C’est grave. C’est un gros signal d’alarme. Ce qui se passe dans le cœur des jeunes est gros.

Ce pourrait-il que nos jeunes en détresse et médicalisés soient le reflet d’adultes en souffrance. En grande souffrance.

Quand on parle de prendre soin des enfants, certains enseignants deviennent réticents. « Nous ne sommes pas là pour faire du gardiennage, mais pour enseigner! » Bien sûr et prendre compte du développement affectif et social d’un enfant est essentiel. Cela demande énormément de compétences relationnelles et émotionnelles. Plusieurs enseignants en font d’ailleurs leur pratique et je remercie tout le personnel scolaire qui adoptent une pratique bienveillante, sécurisante et positive dans leur manière d’enseigner et d’interagir avec les jeunes.

Quand les adultes prennent soin des enfants en démontrant de l’empathie, de la chaleur et de la connexion, c’est tout un cycle vertueux de sécrétion d’hormones essentielles qui s’enclenche, tant pour l’enfant que l’adulte. L’ocytocine, hormone du bien-être, de l’empathie, du lien, de l’amour, du bonheur, est sécrétée. Cette hormone active la production de trois autres hormones essentielles : la dopamine, la sérotonine et les endorphines, essentielles à la créativité, la concentration, la motivation, le plaisir, la stabilisation de l’humeur, de l’émotivité et du bien-être.

Dès lors, nous comprenons à quel point les relations affectives empathiques, chaleureuses et satisfaisantes sont nécessaires sur toutes les sphères de notre vie. Quant à l’éducation, nous pouvons voir toute la profondeur qu’apporte la relation enseignant-élève. Prendre soin de nos jeunes favorise non seulement leur développement affectif et social, mais également leur développement moteur et cognitif. Sans réelle relation, il est impossible de s’épanouir pleinement sur le plan académique. Il devient impossible d’être pleinement présent, d’être bien dans son corps et dans son esprit, d’être attentif, créatif et disponible aux nouveaux apprentissages. Tout est interrelié.

Il n’est pas aisé d’être présent à l’autre et de démontrer de l’empathie quand les comportements sont provocants et agressifs. Alors que ce sont spécifiquement ces enfants qui auraient besoin d’un lien affectif sécuritaire pour apaiser la détresse émotionnelle qu’ils vivent. La qualité du lien entre l’enseignant et ces enfants sont les facteurs principaux qui contribuent à l’amélioration des compétences émotionnelles ainsi qu’à la réussite scolaire1.

C’est pour ces raisons que j’abonde dans le même sens du chercheur Égide Royer. La formation universitaire n’inclut pas suffisamment les neurosciences affectives et sociales dans leur programme. Pour comprendre les réactivités émotionnelles agressives des jeunes et pour accueillir les comportements dérangeants dans une posture sécurisante, empathique et bienveillante, le personnel scolaire a besoin de formation quant au développement affectif et social. Et même des formations sur la communication non-violente. Au cours des dernières années, l’intelligence émotionnelle a pris une place importante dans les milieux de travail. Pourtant, malgré cette prise de conscience quant à l’importance des relations socio-émotionnelles dans les milieux de travail, le milieu de l’enseignement tarde à emboiter le pas.

Les enseignants ont besoin de soutien. Sans soutien, il est ardu pour eux de faire autrement et de comprendre tous les enjeux qu’impliquent les relations affectives et sociales. Il est difficile de se mettre à la place de l’élève, de bien sentir comment il se sent et d’éprouver de la sollicitude empathique envers celui-ci. Par ailleurs, l’épuisement professionnel est très fréquent en enseignement et la principale cause de détresse et d’épuisement professionnel chez les enseignants est les difficultés relationnelles avec les enfants qui ont des comportements perturbants, provocateurs et oppositionnels.

Développer les compétences relationnelles des enseignants devient alors un facteur de protection de l’épuisement professionnel et est un gage de réussite tant professionnelle pour l’enseignant que scolaire pour les enfants.

Ainsi, l’enfant a besoin d’un village d’attachement entier pour bien évoluer. Tous les adultes qui côtoient l’enfant ont une influence sur son développement globale et le personnel scolaire peut faire une grande différence à tous les niveaux.

En toute conscience, prenons soin de nos cœurs.

Mélanie Ouimet

Références :

  1. https://www.journaldemontreal.com/2023/02/13/envoyer-chier-son-prof-dans-lindifference
  2. https://www.journaldemontreal.com/2023/02/10/plus-deleves-violents-depuis-la-pandemie
  3. https://www.lapresse.ca/actualites/education/2023-01-19/les-bebes-de-classe-plus-souvent-etiquetes-tdah.php
  4. Baker et al., 2008

Hypersensibilité : prendre soin de soi

Hypersensibilité : prendre soin de soi
C’est très difficile d’accueillir l’intensité émotionnelle. Notre société est anti-émotion. Nous avons collectivement peur des émotions. Nous cherchons inconsciemment à les taire, à les étouffer, à mettre un couvercle dessus et même pour la joie! C’est difficile d’accueillir un enfant qui vit de l’intensité, c’est difficile en tant que parent d’être seulement présent et de l’aider à se réguler. Ceux qui sont témoin de l’intensité émotionnelle se sentent souvent impuissants et c’est très difficile pour eux d’être face à nous ou à leur enfant. Les personnes qui accueillent l’intensité émotionnelle sont souvent déclenchées dans leur peur, leur sentiment d’impuissance. Nous avons toujours le réflexe de « vouloir faire » et de « vouloir aider » alors que le meilleur accompagnement est simplement d’offrir une présence qui amène le « Je te vois », « Je mesure à quel point ça te touche », « Je vois combien tu as peur », « Je vois l’étendue de ta tristesse ». Dur, dur!

Plusieurs comportements jugés de difficiles s’expliquent par ailleurs par cette hypersensibilité. Par exemple, ce que nous percevons comme un repli sur soi en autisme est souvent une sorte de pas de recul face à l’environnement surstimulant. C’est ce que nous pourrions nommées une compétence innée pour s’éviter une surcharge sensorielle. Un enfant qui n’est pas capable de parler tant il y a d’informations entrantes autant externes qu’internes. Le flux d’information entrant est énorme : auditif, tactile, visuel, intuitif, pensées, émotionnel, physiologique. L’enfant et même l’adulte entre en mutisme sélectif. Un enfant incapable de se concentrer, qui a besoin de bouger ou qui à l’inverse procrastine peut-être assaillit par des stimulations et donc par le stress et l’inconfort qu’il ressent dans son corps.

Un stimulus est une activation pour le système nerveux et donc, un élément de stress pour notre organisme. Un hypersensible en perçoit beaucoup et c’est très incommodant si nous ne parvenons pas à canaliser tout ce qui se passe en soi et quand nous atteignons un niveau de stimulation très élevé qui sature notre cerveau et notre corps. Dans ces moments, nous perdons l’emprise sur soi et c’est affolant. C’est inhérent à chaque être humain mais, beaucoup plus fréquent chez les hypersensibles qui se retrouvent saturés en stimulation plus rapidement.

Pour soi, je crois qu’il est essentiel d’apprendre à ressentir nos sensations corporelles, de tolérer l’intensité à l’intérieur de soi, de décoder nos émotions et nos besoins subjacents. Se donner la permission de pleurer, de vivre des deuils, d’être en colère, d’avoir peur. Se donner la permission de ressentir pleinement nos émotions et de les laisser nous traverser. De faire la distinction entre ce qui nous appartient et appartient à l’autre.

Également, de mieux se connaître, d’apprendre à refuser des invitations, à prendre soin de soi, à méditer, à être en contact avec la nature, à faire du yoga, à avoir un rythme de vie plus lent et sain. Tout ce qui est apaisant et qui permet un contact avec soi, avec notre intérieur. C’est ce qui nous permet de demeurer ancré et de moins perdre pied quand les stimulations sont très élevées.

En relation avec les autres, serait à mon avis de se demander comment faire un vivre-ensemble collaboratif de tous les modes de fonctionnements. Nos émotions sont notre boussole intérieure et de prendre le temps de les écouter permet de mieux comprendre nos besoins. Et cela nous permet d’entretenir de meilleures relations avec les autres. L’intensité de nos émotions nous appartient, nous en prenons la responsabilité. Nous pouvons le transmette à l’autre d’une manière à ce que ce soit informatif et constructif pour la relation. L’autre n’a pas à s’adapter et nous n’avons pas à nous adapter. Nous avons la responsabilité de ne pas se décharger en intensité sur l’autre mais, d’exprimer sainement ce qui se passe en nous. Nous devons tous apprendre à co-construire ensemble en tenant compte des besoins et des limites de chacun.

Quand les émotions deviennent trop intense, revenir à la pleine présence et à l’ancrage : d’être dans notre corps pour s’aider à sortir de nos pensées. Parce que ce sont généralement nos pensées envahissantes et intenses qui sont difficiles à vivre et non l’émotion physiologique passagère. C’est de revenir à ce qui est présent ici et maintenant dans notre corps. Pas si simple! Ce sont des compétences qui se développent au fil du temps et toute la vie!

Mélanie Ouimet

L’hypersensibilité : comprendre, accueillir et soutenir

L’hypersensibilité : comprendre, accueillir et soutenir

L’hypersensibilité est souvent à apprivoiser. Plusieurs personnes souhaitent ne plus ressentir puisque cela fait trop mal. Gustave Flaubert disait « Je suis doué d’une sensibilité absurde, ce qui érafle les autres me déchires. » Les jeunes enfants particulièrement la subissent surtout. Ils sont littéralement assaillis par leur environnement hyperstimulant. Ajoutons qu’ils ont un cerveau qui est immature, en plein développement et donc, ils ont besoin de soutien de la part des adultes pour réguler leur stress et leurs émotions. L’hypersensibilité est une force incroyable qui vient oui avec des défis mais, pas insurmontables. Au fil des années et avec les différents outils que nous développons, nous parvenons à apprivoiser cette hypersensibilité sans la subir.


Nous entendons beaucoup de phrases comme « Calmes-toi! », « Pas besoin d’exagérer! », « Arrête de réfléchir autant! », « Ah que tu es soupe au lait! Pas besoin d’être agressive! », « Tu es bien trop émotif, tu pleures trop! », « Tu me fait honte, calmes-toi! ». C’est difficile de voir notre hypersensibilité comme étant un atout quand nous nous sentons si incompris et quand la société dépeint une vision négative de la sensibilité.


Être hypersensible, ce n’est pas d’être hyperémotif. Ce n’est pas une immaturité émotionnelle. Ce n’est pas un non maîtrise de l’émotion. L’hypersensibilité n’est pas un tempérament psychologique. C’est neurologique. Nous nous servons autrement de notre cerveau et en soi, c’est un atout pour la société parce que nous avons un autre regard sur celle-ci. Une société est riche de par sa diversité, comme les écosystèmes les plus diversifiés sont plus viables. L’hypersensibilité amène à ressentir les émotions beaucoup plus intensément que la moyenne des gens. Les réactivités peuvent sembler exagérées mais, le vécu est bien réel et la réaction n’en est que conséquente à ce qui est ressenti. Et le comportement parfois violent de l’enfant n’en est que l’exposition. Les pleurs sans fin, les cris de mort, les hurlements de colère, de désespoir, les insultes, les coups de pieds dans les murs, les scarifications, le contrôle extrême sur des situations.


Alors, lorsque nous disons de telles phrases comme celles cités ci-haut à notre enfant, nous accentuons grandement sa détresse, son sentiment d’être anormal, d’être défectueux, son sentiment d’incompréhension. Une souffrance grandissante et durable s’installe à l’intérieur de lui. L’enfant a besoin d’être validé dans son ressenti.


Souvent et particulièrement chez les jeunes enfants, nous considérons que l’enfant est plus immature que les autres du fait qu’il réagit vivement et fortement aux émotions qu’il vit. Toutes ses réactivités sont plus intenses, plus impulsives, moins contrôler. Cela n’a rien à voit avec un retard au niveau de la maturation de son cerveau en soi mais bien avec l’intensité qu’il vit et des défis que cela implique pour réguler et tempérer les sensations intenses qu’il ressent dans son corps.


L’hypersensibilité amène des forces créatives très hors du cadre, artistiques très subtiles, visionnaires, philosophiques, humanismes, empathiques, très intuitives.


Je crois qu’en tant que parents le plus beau cadeau que nous puissions offrir à nos enfants est des racines et des ailes. Selon mon expérience, quand nous avons une approche de la parentalité positive qui offre de la sécurité, de la présence et de la liberté à l’enfant, nous lui permettons de croître et de développer ses compétences.


Les enfants et particulièrement les enfants hypersensibles recherchent profondément le lien qui leur dit : « Je te vois, tu existes et je vois la vie qui est en toi. » Je crois que c’est d’être présent pour eux, les accompagner dans ce qu’ils traversent et leur envoyer le message que nous avons confiance en eux.

Nous pouvons les accompagner en leur donnant la permission de vivre leurs émotions avec toute leur intensité. Nous pouvons offrir des espaces apaisants et de détentes pour eux. Être ouvert et sans jugement par rapport à l’intensité de leurs émotions. Être présent et accueillir tout ce qui est là. Sans rien faire, sans rien changer. Permettre à l’enfant de se déployer à son rythme, avoir confiance en lui qu’il va développer ses compétences, qu’il va croître et trouver des stratégies qui lui conviennent. Nous leur fournissons simplement un terreau fertile.


Les hypersensibles absorbent également tout comme des éponges hyper efficaces. Puisque le flot de stimuli est incessant, les hypersensibles doivent apprendre à gérer ces informations entrantes pour garder l’équilibre interne. Il est essentiel pour ces personnes, enfants ou adultes, d’évacuer, de trier, d’ordonner, de respirer, en bref, de faire de la place à l’intérieur de soi pour créer suffisamment d’espace intérieur pour affronter le quotidien. Pour les enfants hypersensibles, cette paix intérieure passe par la sécurité de leur environnement et donc, des liens qu’ils ont avec les adultes qui les accompagnent.


Dans un espace sécuritaire dans lequel l’enfant sera pleinement accueilli, il pourra déposer toutes les émotions intenses qu’il vit. Cultiver la vie émotionnelle et répondre au besoin de proximité est la clé de l’épanouissement des enfants hypersensibles, filles comme garçons.

Je pense aux petits garçons hypersensibles. Ils sont si mal compris. Leur mal-être se traduit souvent par des comportements perturbants comme l’hyperactivité, l’impulsivité, l’opposition, la provocation, l’agressivité. Également, nous avons d’énormes préjugés quant à la sensibilité masculine. De manière générale, nous avons de la difficulté à répondre à leurs véritables besoins soit parce que nous ne décodons pas ces besoins ou soit parce que la croyance populaire invite à « endurcir » les garçons. Un petit garçon sensible qui a besoin de proximité, de câlins, de lien, d’exprimer ses émotions sera vite qualifié de « trooooop sensible! », voire de faible et d’inadapté. « Il va falloir s’endurcir un peu! », « Le monde est difficile, il ne te fera pas de cadeau! », « Ne sois pas si douillet, il faut être fort! », tant de phrases qui éloignent le jeune garçon de ses émotions, de ses besoins, de son empathie et de sa compassion. Des phrases encore entendues trop souvent qui proviennent de cette croyance populaire qu’il est nécessaire, pour être fort, de se couper de nos émotions, de notre sensibilité, de la relation d’attachement pour affronter le monde dur dans lequel nous vivons et c’est encore plus vrai pour les garçons. Or, ce que nous encourageons, ce sont des habitudes de vie qui distendent le lien, qui nous éloignent de l’empathie, de la collaboration et de la communication.


Autant pour les filles que les garçons, les émotions intenses ont besoin de s’exprimer et d’être accueillies. Selon mon expérience, avec la parentalité positive, nous permettons de cultiver la vie émotionnelle immensément riche des hypersensibles tout en répondant au grand besoin de proximité de ces enfants.


En ce sens, je préfère le terme soutenir que rassurer puisqu’il offre un espace relationnel qui permet autant la sécurité que la liberté. Être présent pour l’enfant sans envahir son espace intérieur par notre énergie.


Mélanie Ouimet

Autisme : les interventions comportementales sont-elles acceptables?

Autisme : les interventions comportementales sont-elles acceptables?

Le 1er octobre dernier, un article provenant du cahier spécial Enseignement supérieur est paru dans le Devoir avec pour titre « Trouble du spectre de l’autisme : former à l’intervention comportementale[1] ».

Ce texte aborde l’importance de la formation des personnes aptes à soutenir et à comprendre les comportements sociaux des personnes diagnostiquées. La formation à l’UQAM, le diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en intervention comportementale, y est mentionné et prôné comme étant une bonne formation pour la relève. « Pour former la relève, le DESS en intervention comportementale combine ainsi la théorie et l’application pratique en milieu professionnel. Il est basé sur l’analyse appliquée du comportement, une approche reconnue comme étant l’une des plus efficaces pour réapprendre des comportements et améliorer tant la qualité de vie que les habiletés sociales, » pouvons-nous lire dans cet article.


Pourtant, déjà en 2016, le Dr Laurent Mottron[2] mentionnait que « l’intervention précoce en matière d’habiletés sociales et de langage chez les autistes n’a pas donné de résultats concluants. » Lorsqu’on utilise ces méthodes, « c’est comme si on criait à un sourd congénital, au lieu de l’aider avec le langage des signes, » mentionnait-t-il. Tout récemment, le rapport de l’Académie canadienne des sciences de la santé (ACSS)[3] mentionnait que bien que de nombreux travaux de recherche avaient été menés au sujet des interventions comportementales intensives (ICI) et que ceux-ci démontraient leurs efficacités, la rigueur méthodologique de ces recherches était faible.

La reconnaissance de l’autisme comme profil cognitif divergent via le concept de la neurodiversité a également permis de modifier notre regard sur l’autisme et de diminuer les efforts pour atténuer les caractéristiques intrinsèques de l’autisme et ainsi, respecter le profil atypique des autistes. Le paradigme de la neurodiversité invite à mettre l’accent sur le soutien au développement des compétences naturelles, sur la régulation des émotions, sur la participation inclusive, sur la mise à profit des forces et sur l’importance d’offrir des conditions optimales pour que les autistes aient une vie épanouissante[4].

En plus de ne pas correspondent au profil particulier des autistes, ces méthodes outrepassent les droits fondamentaux des enfants. Ces interventions sont contraires à l’éthique et c’est également le constat fait par le dernier rapport de l’ACSS. Toutes les problématiques liées à l’éthique ne sont aucunement considérées lorsque Québec recommande les interventions comportementales intensives, soit la violence inhérente de ces méthodes envers les autistes[5]. De plus en plus d’adultes autistes ayant été contraints de suivre ces interventions comportementales témoignent des violences subies et des traumatismes engendrés qui affectent grandement leur qualité de vie en tant qu’adulte aujourd’hui. D’ailleurs, il a été mis en évidence que 46 % des autistes ayant été exposés à ces interventions dans leur enfance présentent à l’âge adulte un syndrome de stress post-traumatique[6].

Rappelons que l’objectif premier de l’ICI est de rendre l’enfant « moins autiste » en modifiant ses comportements. Selon le principe de l’ICI, « le plus tôt, le mieux », il faut intervenir rapidement afin que le cerveau de l’enfant reprenne son cours normal de développement. L’autisme est considéré comme un trouble et non comme une divergence cognitive. Bien sûr, les résultats sont parfois spectaculaires et très rapides. Plusieurs parents constateront une « belle amélioration » chez leur enfant qui aura appris à faire quelques demandes verbalement, à jouer avec les autres, à manger à heure régulière, à avoir un contact visuel, à pointer du doigt, mais à quel prix?

Forcer un enfant à regarder dans les yeux, à jouer à des jeux réciproques, à faire des demandes verbales plutôt que gestuelles, même sous forme de jeu ludique, c’est de l’ingérence et c’est une forme de violence banalisée. Même avec toutes nos meilleures intentions, lorsque nous essayons de rendre une personne le plus « normale » et « indiscernable » que possible, nous violons les droits fondamentaux des humains. En autisme, ces droits sont outrepassés sous prétexte que l’autisme est un trouble neurodéveloppemental. Cependant, il ne serait jamais acceptable dans notre société actuelle de faire subir de telles thérapies aux enfants non-autistes, qui plus est, de manière si soutenue.

Bien qu’au fil des dernières années, les interventions comportementales semblent s’assouplir et s’adapter à la réalité autistique, l’aspect comportemental est toujours l’assise de l’intervention. Ainsi, plutôt que d’utiliser des punitions, des récompenses et des renforçateurs sont maintenant utilisés dans l’objectif de modifier ou de faire acquérir certaines compétences. L’environnement de jeu ainsi les comportements, les gestes, les attitudes de l’enfant sont dirigés et approuvés par l’adulte qui l’accompagne selon des attentes précises.

Également, il est souvent recommandé d’ignorer ce qui est perçu comme étant de « mauvais comportements », comme une crise, un comportement opposant, un geste jugé inadéquat, une vocalise jugée sans intérêt. Laissé à lui-même avec ce qu’il vit, l’enfant se retrouve dans une grande détresse émotionnelle avec personne pour l’accompagner et le soutenir dans ce qu’il vit. Les approches comportementales se centrent sur ledit comportement sans considérer que les comportements sont le langage affectif. Un comportement exprime toujours, maladroitement, une émotion et un besoin sous-jacent.

Malgré ces changements, les interventions comportementales utilisent toujours un pouvoir sur l’enfant, une tentative de normalisation, un anéantissement de l’autodétermination et de l’autonomie véritable, la base même de ce que ces programmes souhaitent faire acquérir!

Involontairement, les interventions comportementales envoient le message suivant à l’enfant : mes comportements, mes gestes sont mauvais, je suis donc mauvais, je suis nul, je n’ai pas de valeur. Quand je suis en détresse, je suis ignoré, je suis seul. Mes émotions et mes besoins de sont pas légitimes.

C’est ainsi que malgré certains progrès observables, les conséquences ICI sont lourdes pour les autistes. Le camouflage social est parmi les causes importantes d’anxiété, de dépression et de suicide chez les autistes[7].

L’acquisition de certaines compétences, en particulier l’autonomie, est un pilier fondamental de l’ICI. Nous avons la croyance que l’enfant autiste ne pourra jamais devenir autonome si des objectifs précis ne lui sont pas fixés : faire son lit, attacher ses souliers, se laver et manger à heure précise, préparer un repas. Cependant, l’autonomie ne s’enseigne pas et ne s’apprend pas par cœur. L’autonomie est un processus qui suit son cours de développement et se déploie dans un environnement favorable sain ; elle prend du temps, elle demande du soutien et de l’accompagnement. Nous déplorons qu’une majorité d’autistes, qu’ils soient enfants ou adultes, aient de la difficulté à ressentir la satiété, la douleur, le froid, la fatigue, leurs propres émotions. Ces sensations corporelles ne s’apprennent pas par cœur ; elles se ressentent dans le corps.

Les interventions font ainsi tout le contraire souhaité : elles rendent les autistes complètement dépendants de leur environnement extérieur, incapable de reconnaître leurs sensations et donc leurs besoins. L’enfant aura appris à manger en même temps que passe-partout mais, il n’aura jamais appris à reconnaître sa sensation de faim. Il aura appris à mettre un vêtement chaud quand il y a de la neige mais, il n’aura jamais appris à ressentir le frisson dans son corps. L’enfant aura appris que les crises ne sont pas acceptables mais, il n’aura pas appris à ressentir le poids sur sa poitrine et l’accélération cardiaque lui indiquant qu’il est en colère et que son intégrité doit être réparée. Il aura appris à se camoufler socialement mais, il vivra de l’anxiété sans avoir conscience de sa boule au ventre qui témoigne de sa peur lui indiquant qu’il a besoin de repère et de sécurité.

À l’inverse des interventions comportementales, une approche développementale basée sur le soutien de la maturité cérébrale, l’accueil et la régulation des émotions, permet à l’enfant de prendre consciences de son corps, de ressentir pleinement ses sensations, ses émotions qui sont à la base même de ses besoins et donc de son autonomie. Que souhaitons-nous offrir aux autistes?

Mélanie Ouimet

Consultante experte en autisme

Fondatrice du mouvement francophone de la neurodiversité


[1] https://www.ledevoir.com/societe/education/759713/trouble-du-spectre-de-l-autisme-former-a-l-intervention-comportementale

[2] L’intervention précoce pour enfants autistes, Laurent Mottron, MARDAGA, 2016

[3] https://cahs-acss.ca/wp-content/uploads/2022/04/ACSS-Lautisme-au-Canada-Reflexions-pour-lelaboration-de-futures-politiques-publiques.pdf

[4] Ali et coll., 2012; Milton et coll., 2014; Mottron, 2017; Lai et coll., 2020

[5] Dawson M. The Misbehavior of Behaviorists : Ethical Challenges to the Autism-ABA Industry. 2004. https://www.sentex.ca/~nexus23/naa_aba.html

[6] Kupferstein H. Evidence of increased PTSD symptoms in autistics exposed to applied behavior analysis. Advances in Autism, 2018, vol 4, issue 1, 19-29. DOI 10.1108/AIA-08-2017-0

[7] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5509825/

La dyslexie et les autres DYS ne sont pas des troubles d’apprentissage

La dyslexie et les autres DYS ne sont pas des troubles d’apprentissage

Selon l’OMS, près de 12% de la population mondiale serait touchée par des difficultés à lire, à écrire ou à calculer. « DYS » signifie dysfonctionnement. D’emblée, c’est péjoratif. Ce préfixe envoie à l’enfant qu’il est dysfonctionnel au niveau de son développement et/ou de ses apprentissages : la motricité, le langage, la lecture, l’écriture, les mathématiques, les couleurs. Pourtant, les DYS ne dysfonctionnent pas! Ces personnes perçoivent davantage d’images, d’odeurs, de sons, de couleurs, de textures, d’intensité émotionnelle que la majorité des gens. Toutes les formes DYS sont des dispositions cérébrales différentes, des formes d’intelligence malheureusement, encore très largement inexplorées et inexploitées.

À l’heure actuelle où ces divergences sont perçues comme des troubles d’apprentissages, c’est un monde de souffrance, de honte et d’humiliation que vive ces neurodivergents. Dans notre société basée sur l’écrit, il devient très invalidant de confondent le sens des mots, de voir balader les lettres sous nos yeux, de peiner à déchiffrer ce qu’il y a d’écrit sous nos yeux, d’écrire grossièrement de manière presque illisible. À cela s’ajoute surtout l’incompréhension de l’entourage. Il y a une grande méconnaissance de la part des enseignants et autres professionnels. À l’école, l’enfant est vu comme un paresseux ou comme un stupide. « Il ne travaille pas! », « Il ne s’applique pas! », « Il ne met pas les efforts nécessaires! », « Elle est nonchalante! », « Il se moque de nous! », « Elle est toujours dans la lune! ».

Comme pour la majorité des neurodivergents, la pensée des DYS est non verbale c’est-à-dire qu’ils pensent en termes d’images, de concepts, d’émotions ou d’idée. Contrairement à une pensée verbale qui est davantage linéaire dans le temps et en mots. Avec ce mode de pensée, il devient alors très difficile de réfléchir à l’aide de mots dont le sens ne peut pas être mis en image. Comme pour l’alphabet. Voir des lettres « f » ou « v » n’est pas voir un sens puisque la seule image est la forme lettre en soi.

Cependant, ces défis ne sont pas des troubles d’apprentissage en soi. Lorsque nous regardons sous l’angle de déficit, nous avons tendance à décrire les neurotypes que sous cet angle. Un autiste serait affecté au niveau de la socialisation, un dyslexique au niveau des symboles imprimés, un dyscalculique au niveau des nombres. En réalité, c’est TOUT un modèle complexe alternatif qui vient modifier la manière dont les neurodivergents traitent l’information à tous les niveaux. Nous faisons de graves erreurs lorsque nous considérons que le cerveau des neurodivergents se développe de la même manière que la majorité mais, que leur cerveau fait mal. En réalité, le cerveau établit un modèle divergent de connexions et de circuits cérébraux qui confère un autre type de fonctionnement du cerveau entier.

Dans notre société, nous avons, au fils des années, mis de l’avant certaines caractéristiques, certains modes de fonctionnement, certaines disciplines et facultés, certains modes d’apprentissages qui sont valorisés. Dans l’enseignement par exemple, le verbe est prioritaire alors qu’il existe une plurialité d’autres aptitudes qui servent notre collectivité et qui sont tous aussi importants.

Par exemple, le développement normal du cerveau chez un enfant dyslexique consiste à ce que les connexions neuronales rendent naturellement l’apprentissage de la lecture plus difficile lorsqu’ils ont 6-8 ans. Cette divergence de câblage crée, comme pour la majorité des neurotypes, un énorme décalage entre ce qu’ils ont besoin d’apprendre dans le système scolaire et ce qu’ils ont besoin d’apprendre de manière naturelle. C’est un conflit réel entre ce qu’on leur exige d’apprendre et ce qu’ils apprendraient de manière naturelle et spontanée.

De plus, le système scolaire impose un modèle d’apprentissage « par cœur » dépendant du verbe. Ce n’est pas naturelle pour les enfants dyslexiques. Ils ont davantage d’habiletés pour les apprentissages via des expériences personnelles qui requièrent une vue d’ensemble de leur environnement.

À l’aide de l’imagerie fonctionnelle cérébrale, nous pouvons voir qu’il y a beaucoup plus de zones perceptives (sensorielles) qui s’allument pour une tâche chez les DYS qui ne s’allument pas chez les neurotypiques. Leur manière d’être est extra sensoriel! Ces formes d’intelligence particulières révèlent des êtres humains créatifs, imaginatifs, intelligents, originaux, hypersensibles, intuitifs aux perceptions extraordinaires qui captent tout ce qui se passe dans le monde qui les entoure. Malheureusement, le système scolaire n’est pas conçu ni adapté pour cette manière de percevoir le monde et d’apprendre. Notre société est basée sur des facultés langagières et beaucoup moins sur la perception, les compétences d’ordres visuelles, auditives, etc.

Comme pour la majorité des neurodivergents, l’aspect corporel et les sens sont très importants pour les apprentissages des DYS. Selon l’orthophoniste Béatrice Sauvageot, un DYS ne peut apprendre qu’en mouvement et il voit le monde de manière spatiale et graphique. Cependant, bien qu’il existe des exceptions, l’école ne permet que très rarement aux enfants de bouger et d’être en mouvement lorsqu’ils sont en classe. Il n’est pas permis d’être debout à côté de son bureau. Il n’est pas permis aux enfants de dessiner pendant qu’ils écoutent le cours alors que cela aide les enfants dyslexiques par exemple à être attentif et à se souvenir de son cours. Un enfant qui regarde souvent par la fenêtre est souvent rappeler à l’ordre puisqu’il semble dans la lune. Si parfois c’est permis, regarder dehors permet souvent aux DYS d’écouter le cours avec plus d’attention.

En fait, ce que le système scolaire impose aux enfants, est une forme de violence. Les enfants sont contraints de se conformer au mode d’apprentissage unique et restreint qui leur est offert. Tous les enfants qui dérogent de ce mode d’apprentissage, les enfants qui apprennent autrement, sont maltraités par les mots et les étiquettes qu’on utilise pour les décrire ainsi que par le détriment et la destruction de leur intelligence naturelle.

Afin que ce don créatif et cognitif soit révélé, il est très important de considérer toutes formes de DYS comme un don, un talent et non comme un trouble d’apprentissage. Il est important que l’enfant soit accompagné, soutenu et conscient de ses forces afin qu’il puisse s’épanouir pleinement et que ces habiletés naturelles ne sont pas détruites pas le système scolaire et par la société.

Mélanie Ouimet