Les femmes autistes et, plus largement, les personnes neurodivergentes, sont souvent contraintes d’adopter des stratégies de camouflage (masking) ou de soumission pour se conformer aux attentes sociales. Ces comportements, bien que perçus comme des adaptations individuelles, sont en réalité des réponses à des violences systémiques et institutionnelles. Il est donc essentiel de replacer cette problématique dans un contexte social et environnemental, plutôt que de la réduire à une vulnérabilité intrinsèque à l’autisme.
Les pressions sociales sur les femmes et le masking
Le masking désigne le processus par lequel une personne neurodivergente modifie ou cache certains de ses comportements pour éviter la stigmatisation et s’intégrer dans un environnement conçu pour les normes neurotypiques. Ce phénomène est particulièrement répandu chez les femmes autistes, qui ressentent une pression sociale accrue pour être perçues comme empathiques, calmes et conformes aux attentes. Cette pression, combinée à la tendance culturelle à valoriser l’effacement et l’obéissance chez les femmes en général, intensifie l’utilisation de la soumission comme mécanisme de survie chez les femmes autistes1.
Les recherches montrent que les femmes autistes sont souvent diagnostiquées plus tardivement que les hommes, en raison de leur capacité à masquer leurs traits autistiques2. Cette réponse du système nerveux, la soumission, est commun chez les femmes puisque c’est ce qu’on attend d’elle : qu’elles ne se mettent pas en colère, qu’elles soient souriantes, gentilles, empathiques. Cependant, ce camouflage peut avoir des conséquences graves, telles que l’épuisement émotionnel, le burnout et une vulnérabilité accrue à l’anxiété et à la dépression, qui sont très répandues chez les femmes et plus particulièrement chez les femmes autistes. Les femmes ne sont pas plus vulnérables : elles vivent des violences sociales, institutionnelles et systémiques qui les contraint de s’effacer.
La soumission : une réponse à l’insécurité et à la violence
La soumission des femmes autistes ne doit pas être vue comme une déficience individuelle, mais comme une réponse instinctive aux violences et insécurités présentes dans leur environnement. De nombreux espaces, qu’il s’agisse d’écoles, de lieux de travail ou d’institutions de santé, sont conçus pour répondre aux besoins des individus neurotypiques, laissant peu de place à l’expression de comportements considérés comme atypiques.
Dans ces contextes, la soumission et le masking peuvent être compris comme des stratégies de protection. Par exemple, une femme autiste confrontée à des microagressions ou à des jugements négatifs peut choisir de minimiser ses besoins pour calmer les tensions autour d’elle et éviter d’aggraver les conflits. Ces comportements, bien que perçus comme passifs ou dépendants, sont en réalité des mécanismes d’adaptation au sein d’une société dysrégulée, où les personnes marginalisées doivent naviguer avec précaution pour survivre3.
Les violences systémiques et la responsabilité sociale
La vulnérabilité des personnes autistes ne doit pas être attribuée à l’autisme en lui-même, mais aux normes sociales et institutionnelles qui rendent leurs expériences plus difficiles. Le regard porté sur les femmes autistes, par exemple, est souvent marqué par une pathologisation de leurs comportements. La société attend d’elles qu’elles se soumettent et masquent leurs traits pour être acceptées, créant ainsi un cycle de camouflage épuisant et invisible4.
Il est donc essentiel de déplacer la responsabilité des comportements adaptatifs de l’individu vers les structures sociales. Les violences institutionnelles, l’exclusion des espaces publics et l’invisibilisation des expériences neurodivergentes sont autant de facteurs qui alimentent cette dynamique. En reconnaissant ces violences, nous pouvons créer des environnements plus inclusifs, qui valorisent la diversité des modes d’être et réduisent le besoin de se conformer à des normes rigides.
Les stratégies de soumission et de masking chez les femmes autistes ne sont pas simplement des manifestations individuelles de l’autisme, mais des réponses aux violences sociales, institutionnelles et systémiques. Pour soutenir véritablement ces personnes, il est crucial de reconnaître les pressions externes auxquelles elles sont confrontées et de réformer les institutions pour mieux accueillir la diversité neurocognitive. Déplacer la responsabilité de l’individu vers le collectif permet de promouvoir des environnements plus justes et inclusifs.
Mélanie Ouimet, fondatrice de mouvement francophone de la neurodiversité et co-chercheuse en autisme
Références :
1. Bargiela, S., Steward, R., & Mandy, W. (2016). The Experiences of Late-diagnosed Women with Autism Spectrum Conditions: An Investigation of the Female Autism Phenotype. Journal of Autism and Developmental Disorders, 46(10), 3281-3294.
2. Hull, L., Mandy, W., & Petrides, K. V. (2017). Behavioural and Cognitive Sex/Gender Differences in Autism Spectrum Condition and Typically Developing Males and Females. Autism, 21(6), 706-727.
3. Milner, V., & Cho, P. (2020). Double Empathy and the “Masking” Dilemma: Feasibility of the Modified Cognitive Behavioural Therapy Approach for Autistic Adults. Autism, 24(8), 2186-2199.
4. Porges, S. W. (2011). The Polyvagal Theory: Neurophysiological Foundations of Emotions, Attachment, Communication, and Self-regulation. W. W. Norton & Company.