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Les oublis fréquents : déficit d’attention ou une question de fonctions cognitives en développement

Ce matin, j’ai entendu une remarque classique : « Mon enfant oublie toujours ses affaires, ce n’est pas qu’à l’école, c’est pareil à la maison ! Faut toujours que je sois derrière lui, à lui faire penser à tout! ». Beaucoup de parents sont frustrés par ce genre de situation et se sentent aussi désespérés et ennuyés par tous ces oublies. Leur enfant oublie ses devoirs, son manteau, ou de faire des tâches quotidiennes simples.

Ces oublis sont hautement plus fréquents chez les enfants qui reçoivent un diagnostic de TDAH. Ainsi, nous disons que l’enfant a un déficit d’attention et que c’est pour cette raison qu’il oublie constamment ses affaires. Mais derrière ces oublis fréquents se cachent des fonctions cognitives encore en construction, et non un problème d’effort ou de volonté ni même de déficit attentionnel.

Nous vivons dans une société qui valorise l’efficacité et l’organisation, où les enfants sont parfois attendus à gérer leur temps et leurs affaires comme des mini-adultes. Pourtant, ces compétences impliquent des fonctions exécutives complexes, telles que la mémoire de travail, la planification, la gestion des priorités et l’inhibition des distractions. Or, ces fonctions prennent des années à se développer pleinement.

Les fonctions cognitives : qu’est-ce que c’est ?

Les fonctions cognitives sont l’ensemble des capacités mentales qui permettent entre autres à une personne de comprendre, planifier, se rappeler des informations et adapter son comportement aux situations. Ces capacités incluent :

• La mémoire de travail : garder des informations en tête à court terme pour accomplir une tâche (ex. : se souvenir de la consigne « range tes jouets avant le souper »).

• La planification : anticiper plusieurs étapes pour atteindre un objectif (ex. : « Si je mets mes bottes et mon manteau, je serai prêt à sortir »).

• Le contrôle inhibiteur : freiner une impulsion (ex. : résister à l’envie de continuer à jouer alors que c’est l’heure de partir ou de ne pas se laisser tenter par une autre envie spontanée en cours de route).

Ces compétences ne sont ni innées ni automatiques chez les enfants. Elles se développent progressivement et peuvent varier d’un enfant à l’autre selon plusieurs facteurs également. Et surtout, ces compétences se déploient dans un environnement sécuritaire et dans la relation avec un adulte.

Les enfants et les oublis : une évolution normale

Quand un enfant, et même un ado, oublie ses affaires ou n’arrive pas à accomplir une tâche, cela peut être frustrant pour l’adulte. Mais pour l’enfant, ces oublis ne sont pas de la paresse ou de l’insouciance. Ils sont simplement le reflet d’un cerveau en plein développement, encore en apprentissage pour jongler avec plusieurs informations à la fois.

Un enfant peut être entièrement absorbé par une activité (par exemple jouer) et ne pas réaliser que le temps passe. Son cerveau n’a pas encore la capacité de jongler entre plaisir et responsabilités de manière fluide. Même avec des rappels ou des pictogrammes, il est fréquent que l’enfant ne pense pas spontanément à vérifier une liste ou se rappeler une consigne. Il a besoin d’un adulte pour le soutenir et nourrir l’attachement.

Le rôle de l’adulte : soutien et co-régulation

Plutôt que de s’attendre à ce qu’un enfant ou un ado soit capable de gérer ces fonctions seul, il est essentiel que l’adulte reste un guide et une figure d’attachement. Le but n’est pas d’exiger une autonomie, mais d’accompagner l’enfant dans l’apprentissage progressif de ces compétences. Un jeune doit d’abord être dépendant de l’adulte pour se déployer. Hé oui!

Voici quelques pistes pour soutenir ces compétences dans le lien :

Pour les plus jeunes :

• « On range ensemble tes jouets avant de préparer le souper. »

• « Je vois que tu t’amuses bien ! On joue encore cinq minutes et ensuite, je vais t’aider à enfiler ton manteau. Ça te va? »

• « On prépare ton sac d’école à deux ? Tu veux mettre ton cahier ou ta collation en premier ? »

Pour les plus âgés :

• « Tu pars à 7h45, qu’est-ce qu’il te reste à faire avant de partir ? »

• « On vérifie ensemble si tu as tout mis dans ton sac ? Qu’en dis-tu? »

• « Oh, je vois que tu es encore en pyjama. On peut choisir tes vêtements ensemble si tu veux. »

Ces moments de connexion et de collaboration permettent non seulement de renforcer les fonctions cognitives, mais aussi de nourrir le lien affectif. En soutenant l’enfant dans la gestion des oublis, l’adulte l’aide à développer ses compétences sans pression excessive ni sentiment d’échec.

Et chez les adolescents ?

Les oublis ne disparaissent pas à l’adolescence. En fait, ils peuvent même s’amplifier avec les nouvelles responsabilités et enjeux sociaux qui émergent. Un ado peut oublier de prévoir son transport ou de rendre un devoir à temps, non par négligence, mais parce qu’il jongle avec des pensées complexes : « Comment vais-je être perçu ? », « Est-ce que ce choix me convient vraiment ? », « Qui sera là ? ». Tous ces enjeux sociaux prennent énormément de place et ont beaucoup d’importance chez les ados.

Plutôt que de voir ces comportements comme de l’irresponsabilité, l’adulte peut jouer un rôle de soutien :

• « Tu avais parlé de t’inscrire à ce cours, je vois que tu sembles hésitez. Tu veux en discuter avant de décider ? »

• « Tu me parlais d’un concert. As-tu besoin d’aide pour t’organiser avant le concert ? »

• « On a tous des doutes sur nos choix, c’est dur! Tu veux qu’on en parle ensemble ? »

Les neurodivergents : un parcours différent mais tout aussi valide

Chez les enfants neurodivergents, comme ceux ayant un TDAH, les fonctions cognitives peuvent se développer de manière non linéaire ou atypique. Ces jeunes peuvent être hyperperformants dans certains domaines. Ils ont souvent une grande capacité de concentration dans leur domaine d’intérêt. Il devient plus difficile de planifier, de gérer la gestion du temps ou de faire les choses selon ce qui est prioritaire selon les attentes extérieures. Le lien d’attachement prend ici toute son importance. Ce lien est fondamental autant pour combler les besoins affectifs de jeunes neuroatypiques que pour soutenir le développement des fonctions cognitives. Ils ont besoin de connexion, de rappel doux plutôt que des reproches sur les multiples oublis qu’ils peuvent faire.

Les oublis fréquents chez les enfants, qu’ils soient neurotypiques ou neurodivergents, sont normaux et attendus. Ce sont des opportunités d’apprentissage, pas des signes d’échec ni de déficit. Le rôle des adultes est de rester présents et bienveillants, en guidant l’enfant à travers ce processus long et complexe. Plutôt que d’exiger une performance mature et de forcer une autonomie, il s’agit d’inviter l’enfant à la dépendance. C’est dans un tel lien qu’il se sent en sécurité et qu’il peut développement ces compétences, comme celles liés aux fonctions cognitives.

Chaque enfant a son propre rythme, ses forces et ses besoins. Et parfois, un simple rappel ou un moment de connexion avec un adulte peut faire toute la différence.

Mélanie Ouimet, fondatrice du mouvement francophone de la neurodiversité et co-chercheuse en autisme