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ICI et autisme : entre controverse et enjeux éthiques

Les interventions comportementales intensives (ICI) ont longtemps été promues comme une approche à privilégier pour accompagner les jeunes enfants autistes. En se basant sur les principes du conditionnement opérant, cette méthode vise à modifier les comportements jugés envahissants, déviants, agressifs, non-convenables par une répétition d’exercices et un système de récompenses et de punitions. Or, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer les limites de cette approche, notamment les effets néfastes à long terme sur le bien-être des autistes. Le récent rapport de l’INESSS (Institut national d’excellence en santé et services sociaux) soulève à nouveau des questions cruciales : comment se fait-il que, malgré les preuves croissantes de son inefficacité et des risques pour les autistes, l’ICI soit encore proposée comme une solution  acceptable ?

Le récent rapport de l’INESSS marque un progrès en reconnaissant qu’aucune intervention spécifique ne peut être universellement recommandée pour tous les enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme. Ce constat souligne la nécessité de diversifier les services et d’adapter les approches aux besoins individuels des enfants et de leurs familles. En tant que personne autiste ayant contribué aux consultations pour ce rapport, je suis très heureuse de cette avancée que je souhaite depuis plusieurs années. 

Toutefois, il est crucial de noter que ce rapport, malgré sa reconnaissance des limites de l’ICI, ne la bannit pas complètement. Au contraire, il laisse place à la persistance de cette approche dans les recommandations, ce qui est à mon sens problématique. Le rapport de l’INESSS présente des constats clairs : les bénéfices de l’ICI sont limités et la recherche sur ses effets à long terme demeure insuffisante. L’approche s’attache à la normalisation des comportements autistiques, souvent au prix d’un épuisement émotionnel et psychologique pour les enfants concernés. Les témoignages d’adolescents et d’adultes autistes ayant vécus cette approche ainsi que de parents rapportent des épisodes de stress post-traumatique, d’anxiété accrue et de sentiment d’inadéquation liés à des années de conditionnement visant à supprimer l’identité autistique. Toutefois, il est crucial de noter que ce rapport, malgré sa reconnaissance des limites de l’ICI, ne la bannit pas complètement. Au contraire, il laisse place à la persistance de cette approche dans les recommandations, ce qui est problématique. Ainsi, c’est comme dire : « Nous ne recommandons pas d’abuser et de violenter massivement, mais nous pouvons encore le faire. » Ce maintien partiel de l’ICI, malgré ses effets potentiellement dommageables, soulève des questions éthiques majeures. 

L'autisme et l'autiste ne sont pas à réadapter

L’autisme ne devrait pas être considéré comme un trouble à réadapter, mais comme une différence neurologique. Les témoignages d’adolescents et d’adultes autistes ayant vécu l’ICI mettent en lumière des effets dévastateurs, tels que le stress post-traumatique, l’anxiété accrue, et un sentiment d’inadéquation lié à des années de conditionnement visant à effacer leur identité autistique.

Un besoin urgent de réévaluer les priorités

La communauté autistique ainsi que des parents et professionnels appellent à un changement de paradigme. Plutôt que de forcer les enfants autistes à adopter des comportements conformes aux attentes neurotypiques, il est essentiel de bâtir des environnements d’apprentissage respectueux de la diversité neurologique. Des approches basées sur la relation, l’attachement et le développement affectif et social apparaissent comme des pistes à explorer sérieusement, non seulement pour le bien-être immédiat des enfants, mais aussi pour l’épanouissement des autistes à long terme.

Le maintien de l’ICI dans les approches recommander par l’INESSS pose donc une question éthique majeure : devons-nous continuer à encourager une méthode dont les bienfaits sont discutables et les conséquences potentiellement graves, alors même que des voix issues de la communauté autistique appellent à son abandon complet? La réponse semble claire et évident. L’ICI ne répond pas aux besoins des enfants autistes. Ce dont ces enfants ont réellement besoin, c’est de respect, de soutien dans leur singularité, et d’accompagnements qui prennent en compte leurs besoins sensoriels, émotionnels et sociaux, sans chercher à modifier leur nature profonde.

Le rapport de l’INESSS devrait servir de tremplin pour une réflexion plus large sur les pratiques en matière d’autisme. Plutôt que de maintenir des pratiques controversées, il est impératif d’adopter des approches qui respectent la diversité neurologique et se concentrent sur le bien-être réel des enfants autistes. Le changement de paradigme nécessaire consiste à bâtir des environnements d’apprentissage inclusifs et respectueux, plutôt qu’à imposer des comportements conformes aux attentes neurotypiques.


Mélanie Ouimet, fondatrice du mouvement francophone de la neurodiversité et co-chercheuse en autisme