Dans le discours courant, la victimisation des personnes autistes est souvent expliquée par une incapacité supposée à comprendre les interactions sociales ou à percevoir correctement les intentions des autres. Ce type de raisonnement traduit un capacitisme profondément enraciné, où la manière d’être et de percevoir de la personne autiste est considérée comme un défaut ou un déficit intrinsèque. En détournant la responsabilité des violences subies vers la supposée « mauvaise perception » de la personne autiste, l’invalidation s’infiltre subtilement. Je vous invite à explorer comment ces jugements peuvent éroder la confiance en soi des autistes et renforcer une boucle de doute et de marginalisation.
« C’est ton autisme qui t’empêche de comprendre » : une invalidation quotidienne
On dit souvent aux personnes autistes qu’elles ne comprennent pas les signaux sociaux ou qu’elles sont « naïves », ce qui reviendrait à dire qu’elles sont incapables de percevoir le danger. Cette posture induit une forme pernicieuse d’invalidation : « Si tu ressens une menace ou un malaise, c’est parce que ton jugement est altéré par ton autisme, par ce que tu es. » À force d’entendre ces messages, les autistes finissent par douter de leurs propres perceptions. Cela agit comme une forme de gaslighting : on leur fait croire que ce qu’elles ressentent est faux ou sans fondement ou encore qu’elles sont incapables de percevoir de manière juste.
Le danger de la cristallisation du doute
Lorsque nos perceptions sont constamment remises en question, le doute s’installe, au point de devenir une seconde nature. Nous finissons par croire que ce que nous percevons n’est pas la réalité et que nous sommes défaillants. Ce doute est souvent amplifié par des fausses croyances sociétales : on renvoie à la personne autiste l’image qu’elle est « inapte » à détecter les intentions malveillantes ou les manipulations, cristallisant ainsi un faux portrait d’elle-même. Ce n’est plus la société ou les comportements violents qui sont mis en cause, mais l’autiste lui-même : « C’est toi qui es incapable de voir clair, pas les autres qui se comportent mal. » Cette construction détourne l’attention des véritables dynamiques de pouvoir et de violence. Puis, par la suite nous disons que c’est la personne autiste qui n’est pas capable de percevoir les intentions malveillantes des autres, alors que nous avons invalider ses perceptions depuis son enfance.
Capacitisme et fausse vulnérabilité
Ce mécanisme de victimisation repose sur une lecture biaisée : la diversité cognitive devient une vulnérabilité intrinsèque. Pourtant, l’intensité émotionnelle et la haute sensibilité des personnes autistes – ou tout autres neurodivergents - ne sont pas intrinsèquement des failles. Ces caractéristiques peuvent coexister avec une grande force intérieure et une régulation émotionnelle saine, en l’absence de violence ou de trauma. Cependant, la société pathologise ces traits atypiques et crée un environnement où l’authenticité devient confrontante, car elle révèle ce que beaucoup préfèrent taire.
L’authenticité mal perçue : une source d’inconfort
L’invalidation peut aussi découler d’une réaction inconsciente de défense chez les autres. Lorsqu’une personne autiste exprime une vérité franche ou perçoit avec acuité des dynamiques émotionnelles subtiles, cela peut générer de l’inconfort ou de la culpabilité chez ses interlocuteurs. En réponse, ces derniers peuvent rejeter ou invalider ces perceptions, tentant ainsi de protéger leur propre sentiment de confort. Ce phénomène nourrit un cercle vicieux où l’authenticité est perçue comme une menace, renforçant le rejet et l’exclusion des personnes sincères, qui sont jugées de « trop directe » et maladroite socialement.
Dépasser l’invalidation par la reconnaissance de la diversité cognitive
Il est crucial de reconnaître que la victimisation des personnes autistes ou neurodivergentes ne provient pas de leur manière d’être et de percevoir, mais de la manière dont la société réagit à cette différence. La haute sensibilité et l’intensité émotionnelle ne sont pas des déficit, mais des atouts lorsqu’elles sont soutenues par un environnement bienveillant. Il est urgent de remettre en question le capacitisme qui lie intrinsèquement diversité cognitive et vulnérabilité, et d’explorer davantage les effets du trauma dans ces parcours de victimisation. Plutôt que d’invalider leurs perceptions, nous devons écouter et valider ces expériences, afin que les personnes puissent retrouver confiance en elles et en leurs intuitions.
Mélanie Ouimet, fondatrice du mouvement francophone de la neurodiversité et co-chercheuse en autisme
Références complémentaires en lien avec l’invalidation subtile et le capitalisme :
1.Kerns, C. et al. (2022). Exploring potential sources of childhood trauma: A qualitative study with autistic adults and caregivers. Lien vers l’étude
2. Rumball, F. et al. (2021). Heightened risk of posttraumatic stress disorder in adults with autism spectrum disorder: The role of cumulative trauma and memory deficits. Accéder à l’article
3. Haruvi-Lamden, A. et al. (2020). Autism Spectrum Disorder and Post-Traumatic Stress Disorder: An unexplored co-occurrence of conditions.
4. Ng-Cordell, E. et al. (2022). A Qualitative Study of Self and Caregiver Perspectives on How Autistic Individuals Cope With Trauma.