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Autisme, sensibilité et trauma : déconstruire les discours invalidants

Les discours sur l’autisme et la victimisation soulèvent une question fondamentale : est-ce vraiment l’autisme qui rend les personnes plus vulnérables, ou est-ce plutôt l’effet de violence, de traumatismes précoces et de l’invalidation sociale? Cette question est essentielle pour comprendre comment les personnes autistes et autres neurodivergentes sont perçues et accompagnées. Trop souvent, on attribue leur vulnérabilité à une défaillance intrinsèque, en pointant un supposé manque de discernement, de compétences sociales ou de dysrégulation émotionnelle ce qui peut être extrêmement invalidant et pernicieux. Je vous invite à déconstruire ces croyances reçues et à proposer une nouvelle lecture de la relation entre neurodivergence, sensibilité et trauma.

Une invalidation cachée sous le masque du discours social

Quand on affirme que l’autisme ou le TDAH rendent intrinsèquement vulnérables, ça revient à suggérer que la manière de penser, de ressentir, ou de percevoir des neurodivergents est déficiente. On peut faire un parallèle avec la victimisation de d’autres groupes marginalisés. Cependant, les discours sur la vulnérabilité des femmes ou des minorités sont différents puisque la victimisation est reconnue comme structurelle et liée à des inégalités sociales, institutionnelles et systémiques. En ce qui a trait à la neurodivergence, on sous-entend que c’est l’individu qui serait en cause, en pointant un défaut dans son jugement ou sa perception. Cela alimente un message lourd de sens : si ces personnes ne détectent pas les intentions malveillantes, c’est qu’elles sont intrinsèquement inaptes à se protéger. Pire, elle leurs perceptions est intrinsèquement défaillante! Oh que cette vision est dangereuse et violente! Cette forme subtile d’invalidation peut conduire à un sentiment profond d’impuissance et de doute permanent.

L’inconfort des autres face à l’authenticité

Les personnes autistes, TDAH ou avec un autre profil neuroatypique ont souvent une grande sensibilité et une perception émotionnelle affinée. Mais cette authenticité peut être mal perçue dans notre société. Les observations franches et honnêtes, souvent sans filtre social, peuvent être confrontantes pour les autres. Dire des vérités peut provoquer chez autrui un inconfort ou un sentiment de culpabilité, ce qui peut entraîner une forme d’invalidation. Les réactions négatives – telles que le gaslighting, qui consiste à remettre en question la validité de ce qu’elles ressentent – trouvent parfois leur origine dans cette confrontation involontaire. Il devient alors plus facile de dire que l’autre a un problème que d’être confronté à nos émotions douloureuses.

Avec le temps, les autistes finissent par douter d’eux-mêmes, amplifiant la confusion entre ce qui est perçu de manière juste et ce qui est invalidé. Elles intériorisent le message que leur perception serait erronée : « Tu es autiste, alors tu ne comprends pas. » Ce doute constant érode la confiance en soi et alimente la dysrégulation émotionnelle, qui pourrait pourtant être évitée dans un environnement validant.

Intensité émotionnelle versus dysrégulation : Le rôle du trauma

Il est crucial de faire la distinction entre intensité émotionnelle et dysrégulation émotionnelle. Une forte sensibilité ou intensité émotionnelle n’implique pas automatiquement une difficulté à se réguler. En fait, des profils à haute sensibilité peuvent tout à fait être réguler s’ils bénéficient d’un environnement bienveillant et de soutien, particulièrement durant leur enfance. Le problème survient lorsqu’un grand stress ou un trauma intervient, provoquant une dysrégulation qui est ensuite attribuée – à tort – à la neurodivergence.

Ainsi, les comportements que l’on associe souvent à l’autisme ou au TDAH, comme les incapacités à détecter les intentions des autres, pourraient être des réponses adaptatives au trauma, et non des caractéristiques intrinsèques. C’est pourquoi il est essentiel de se demander si la vulnérabilité aux violences subies ne découle pas du trauma initial lui-même, qui modifie nos perceptions du monde et de soi, plutôt que de la condition neurodivergente.

Les neurosciences et l’inclusion des neurodivergents

Des approches basées sur la relation d’attachement, la co-régulation et la pleine conscience soutiennent les personnes neurodivergentes. Ces approches permettent de développer une régulation émotionnelle, sans pathologiser ou invalider les émotions fortes ou les perceptions intenses. Le travail sur la compassion encourage à reconnaître la validité des émotions et à accueillir l’expérience intérieure, favorisant ainsi la confiance en soi.

D’ailleurs, un nombre croissant de recherches montre que les personnes autistes et celles qui ont un TDAH possèdent une empathie élevée, bien que celle-ci puisse s’exprimer différemment. Contrairement aux stéréotypes, leur sensibilité émotionnelle ne constitue pas une faiblesse mais une force, pour peu qu’elle soit reconnue et encouragée.

Repenser la vulnérabilité et la neurodivergence

Il est essentiel de repenser la manière dont nous comprenons la relation entre neurodivergence, trauma et vulnérabilité. La sensibilité des personnes autistes n’est pas un défaut ni une cause de victimisation. Ce qui les rend vulnérables, ce n’est pas leur manière d’être, mais les environnements traumatiques et invalidants auxquels elles sont confrontées. En attribuant leur dysrégulation à leur neurodivergence plutôt qu’au trauma, on passe à côté d’un aspect fondamental : leur besoin d’un accompagnement respectueux et d’environnements qui valident leur authenticité.

Au lieu de voir dans leur hypersensibilité un problème, il est temps de reconnaître qu’elle est une richesse. Ce n’est qu’en validant cette authenticité et en offrant un soutien centré sur la compassion que nous pourrons réellement diminuer leur vulnérabilité et favoriser leur bien-être.

Mélanie Ouimet, fondatrice du mouvement francophone de la neurodiversité et co-chercheuse en autisme

Références :

• Milton, D. (2012). On the ontological status of autism: The ‘double empathy problem’. Disability & Society.

• Neff, K. D. (2011). Self-Compassion: Stop Beating Yourself Up and Leave Insecurity Behind. HarperCollins.

• Linehan, M. M. (1993). Cognitive-Behavioral Treatment of Borderline Personality Disorder. Guilford Press.