Les distinctions entre le trouble du développement du langage (TDL, dysphasie) et le trouble du spectre de l’autisme (TSA) sont souvent perçues comme rigides dans le cadre des diagnostics officiels. Cependant, une perspective basée sur la neurodivergence permet d’interpréter ces particularités non comme des troubles mais comme des variations naturelles du développement qui ont un tronc commun. Cette approche met en lumière les forces perceptives, l’hypersensibilité et les voies alternatives par lesquelles ces neuroatypiques interagissent avec le monde.
Dysphasie et autisme : des frontières floues
Bien que la dysphasie et l’autisme soient définis par des critères distincts dans le DSM-5, la distinction est hautement plus complexe et repose sur des interprétations sociales. Par exemple, les enfants dysphasiques montrent principalement des difficultés de syntaxe, de vocabulaire et de compréhension du langage oral. Chez les autistes, la communication sociale est atypique mais également, les personnes autistes ont des intérêts spécifiques et des gestes particuliers.
Or, des traits similaires peuvent apparaître dans ceux deux neurotypes : des enfants dysphasiques peuvent montrer une aversion pour les interactions sociales, non pas par désintérêt mais en raison de leurs difficultés à s’exprimer. De plus, certains enfants autistes peuvent également présenter des retards langagiers, rendant la frontière diagnostique poreuse. Et puis, contrairement à la croyance, les autistes sont des êtres humains sociaux ; ils apprécient le contact avec d’autres humains.
Ainsi, les dysphasiques et les autistes ont une communication atypique qui peut nuire à leurs interactions sociales.
Une perception accrue : une force innée
Un aspect très important à comprendre est que ces neuroatypiques ne compensent pas leur difficulté langagière en développant d’autres compétences. Leur cerveau est construit différemment, favorisant des capacités perceptives particulières. Certains ont une habileté à percevoir les objets en 3D et à comprendre les relations spatiales. Les compétences dans la perception accrue des stimuli auditifs, visuels ou tactiles est reconnue scientifiquement depuis longtemps. Avant de développer le langage, ces enfants déploient leur compétence perceptive et peuvent exceller dans des activités artistiques ou motrices. Leur perception accrue des détails et leur une capacité à se concentrer longuement sur des tâches spécifiques, révèlent des talents pour détecter des patterns et résoudre des problèmes.
Ces compétences ne sont pas des stratégies de compensation mais des manières intrinsèques de percevoir et de comprendre le monde. Tout comme pour l’autisme, le langage ne constitue pas toujours l’axe principal du développement des dysphasiques. Leurs expériences sensorielles et perceptives peuvent prendre une place centrale dans leur manière de se développer.
Repenser le « retard » langagier : une autre trajectoire développementale
L’interprétation traditionnelle de la dysphasique comme un trouble langagier repose sur l’idée que l’enfant présente un retard par rapport à un développement langagier typique. Pourtant, cette notion de retard reflète une norme sociale autour de la communication verbale. Du point de vue neurodivergent, ces trajectoires développementales sont simplement atypiques, à l’image de celles observées chez certains enfants autistes. La communication ne suit pas un chemin unique, mais peut émerger par des canaux alternatifs. Certains enfants préfèreront faire des gestes, avoir des expressions faciales ou faire des dessins comme modes de communication primaires. D’autres communiquent par le toucher ou à travers des routines sensorielles significatives.
Ainsi, plutôt que de considérer le développement langagier comme en « déficit », il est possible de le voir comme un développement différé ou parallèle, où l’enfant investit d’abord ses compétences perceptives et sensorielles avant de maîtriser le langage.
Diagnostic autisme ou dysphasique : un regard subjectif
Une des aspects majeurs des distinctions entre la dyspraxie et l’autisme repose sur la subjectivité des critères diagnostiques. Par exemple, le désir d’interaction sociale est souvent utilisé comme un point discriminant entre dyspraxie et autisme :
• Un enfant dysphasique est censé vouloir interagir mais en être empêché par ses difficultés langagières.
• Un enfant autiste est souvent perçu comme n’étant pas intéressé par la socialisation.
Cependant, de nombreuses personnes autistes rapportent qu’elles souhaitent interagir, mais se sentent limitées par des obstacles sensoriels, une surcharge cognitive ou une incompréhension des codes sociaux. Cela suggère que les critères du DSM sont influencés par des croyances culturelles sur ce qu’est une interaction sociale normale.
Soutenir les forces perceptives et sensorielles
Dans une approche basée sur la neurodivergence, le soutien vise avant tout à renforcer les forces naturelles de l’enfant. Les intérêts de l’enfant comme la peinture, la musique, les jeux d’exploration tactile sont encouragés. Les compétences visuo-spatiales sont mises de l’avant comme des puzzles, des jeux de construction, l’exploration de l’espace. Nous pouvons également créer des environnements qui permettent de limiter les stimuli trop intenses et permettent un apaisement.
En reconnaissant et en soutenant ces forces, on permet à ces enfants de développer leurs forces perceptives innées tout en leur permettant de développer le langage à leur propre rythme.
Une diversité à valoriser
Repenser la dysphasie et l’autisme sous l’angle de la neurodivergence invite à dépasser l’idée de « trouble » ou de déficit. Ces enfants ne sont pas « moins que » mais autrement câblés, avec des capacités qui peuvent être aussi précieuses que le langage lui-même. Les frontières entre la dysphasie et l’autisme révèlent avant tout les limites des classifications diagnostiques actuelles, fondées sur des normes sociales plutôt que sur une compréhension nuancée de la diversité neurologique. Le défi est de créer des espaces où ces enfants peuvent s’épanouir dans leur unicité, sans être contraints à se conformer à des attentes développementales rigides.
Mélanie Ouimet, fondatrice de mouvement francophone de la neurodiversité et co-chercheuse en autisme