L’approche par intersectionnalité permet de comprendre comment les discriminations liées à différents aspects de l’identité (genre, origine ethnique, divergence cognitive) se croisent et se renforcent. Ce concept, développé par Kimberlé Crenshaw, est particulièrement pertinent pour analyser la façon dont des groupes marginalisés — comme les femmes autistes, noires ou autochtones — sont confrontés à la violence. Ces violences ne doivent pas être interprétées uniquement comme la conséquence de traits individuels ou neurologiques mais comme l’effet de dynamiques sociales et historiques complexes, bien enracinées dans nos sociétés.
Le piège des stéréotypes : autisme et perceptions racialisées
Les femmes autistes sont souvent perçues comme naïves, incapables de reconnaître le danger, ou excessivement en quête de reconnaissance sociale. Cependant, ces stéréotypes peuvent invisibiliser la diversité cognitive des personnes autistes. Certaines peuvent au contraire être très sensibles aux intentions malveillantes, mais leurs signaux d’alerte sont ignorés par manque de reconnaissance de leur capacité de jugement. Cela se nomme gaslighting, une violence relationnelle et sociale davantage faites aux femmes, reliée entre autres au patriarcat.
De la même manière, les femmes noires et autochtones sont fréquemment associées à des stéréotypes déshumanisants. Les femmes noires par exemple sont souvent perçues comme fortes et indépendantes, ce qui banalise leurs souffrances et réduit la réponse institutionnelle à leur égard. Pour les femmes autochtones, ayant le poids de l’héritage colonial, sont souvent vues comme ayant des modes de vie déviants ou « à risque », ce qui invisibilise la violence systémique qu’elles subissent et le lien avec leurs traumatismes présents et hérités.
Ces perceptions façonnent la manière dont les institutions (police, système de santé) réagissent à la violence contre ces groupes, et peuvent aggraver leur vulnérabilité institutionnelle.
Soumission et contrôle social : des dynamiques similaires
Une critique récurrente sur les femmes autistes est qu’elles seraient plus enclines à entrer dans des relations de soumission, en raison de difficultés à comprendre les attentes sociales ou d’un besoin d’intégration. Pourtant, la soumission est par définition un mécanisme de survie, commun à tous êtres humains et particulièrement présent chez d’autres groupes marginalisés.
Les femmes racisées, en particulier noires et autochtones, ont également été conditionnées par l’histoire à une forme de soumission aux systèmes dominants. Les femmes autochtones ont subi des siècles de contrôle et d’oppression par des institutions coloniales. Nous savons aujourd’hui combien les traumatismes se transmettent sur plusieurs générations et les violences continuent encore au sein des peuples autochtone. Le racisme et le sexisme systémique poussent certaines femmes noires à se conformer à des attentes sociales restrictives pour limiter les violences à leur égard. C’est un mécanisme de survie instinctif.
De ce point de vue, le recours à la soumission n’est pas lié à des caractéristiques intrinsèques (comme l’autisme), mais à une réponse neurobiologique adaptative à un contexte oppressif.
Le rôle des facteurs environnementaux
Il est également réducteur d’associer la vulnérabilité à la seule condition autistique. Le manque de soutien familial et social, la marginalisation, ou des expériences précoces de rejet jouent un rôle clé dans la construction de l’estime de soi et dans la capacité à poser des limites. Ces facteurs influencent autant les femmes autistes que racisées.
L’acceptation sociale et le soutien familial sont donc des leviers essentiels pour réduire la vulnérabilité et favoriser des relations saines. Ces éléments soulignent que ce n’est pas le fonctionnement cognitif en soi qui détermine la vulnérabilité, mais l’environnement social et les dynamiques relationnelles, sociales, institutionnelles et systémiques.
Une nouvelle manière de comprendre la violence
Adopter une approche intersectionnelle permet d’éviter de réduire la violence à des caractéristiques individuelles, comme l’autisme ou l’origine ethnique. Il est essentiel de comprendre que la violence est avant tout une conséquence de structures sociales oppressives. Les femmes autistes, noires et autochtones partagent cette réalité : leur vulnérabilité n’est pas innée, mais résulte d’une interaction complexe entre discrimination, marginalisation, et manque de soutien.
Mélanie Ouimet, fondatrice de mouvement francophone de la neurodiversité et co-chercheuse en autisme