Depuis plusieurs années, la communauté autistique met de l’avant l’importance de modifier la terminologue afin que les termes employés soient respectueux. J’ai assisté à de nombreux échanges sur le sujet et de nombreuses personnes ne voient pas l’intérêt de modifier la terminologie puisque cela n’aurait pas d’impact sur les autistes. D’ailleurs plusieurs parents d’enfant autiste mentionnent que la mention « TSA » ou « mon petit TSA » est affectueuse et n’a rien à voir avec l’amour qu’ils portent à leur enfant.
Cependant, l’expérience traumatique vécue par les personnes autistes découle en grande partie de la manière dont la société perçoit et traite l’autisme, et non de la condition elle-même. Cette perception influence les dynamiques de soumission et de masking, en raison de la stigmatisation associée au fait d’être une minorité cognitive. Un parallèle pertinent peut être fait avec d’autres groupes marginalisés : ce n’est pas tant leur différence qui engendre du trauma, mais plutôt la manière dont la société réagit à cette différence.
La perception sociale de l’autisme et la soumission
Dans une société qui valorise certains types d’intelligence ou de performance (comme celles associées au haut potentiel intellectuel qui est également une minorité cognitive), l’autisme est perçu sous un prisme déficitaire, qualifié de trouble. Cette étiquette est non seulement stigmatisante, mais elle renforce également une vision pathologisante, où les comportements autistiques sont interprétés comme problématiques. Par exemple, des études montrent que les femmes autistes utilisent souvent des stratégies de soumission ou de masking pour éviter le rejet social1. Ces comportements, bien que protecteurs à court terme, entraînent de la fatigue émotionnelle et un risque accru de dépression et d’anxiété2.
L’influence de la terminologie et la perception de soi
Le langage a une fonction puissante : il façonne la manière dont les individus se perçoivent et sont perçus dans la société. Le fait de qualifier l’autisme de « trouble » renforce l’idée que les autistes sont défaillants et doivent être corrigés ou adaptés pour entrer dans les normes sociales. Cette perception a des conséquences directes sur la santé mentale des personnes autistes : elles intériorisent souvent cette vision et se sentent « inadaptées », ce qui accentue leur tendance à se conformer à des attentes normatives à travers le masking. Elles savent intuitivement qu’elles n’ont pas le droit d’exister comme elles sont. Pour éviter le rejet et les blessures relationnelles réelles, leur système nerveux s’adapte intuitivement en adoptant une posture de soumission. Cette réponse est physiologique et neurobiologique.
Les discussions autour d’un changement terminologique, en adoptant par exemple l’expression « neurodivergent », « personne autiste », « autiste » plutôt que « TSA », s’inscrivent dans une volonté de réduire ces traumatismes. De nombreuses personnes autistes plaident pour une reconnaissance de l’autisme en tant que variation cognitive, et non comme un trouble, ce qui permettrait d’améliorer leur bien-être en valorisant leur identité plutôt qu’en la pathologisant3. Ces demandes sont loin d’être superflues. Elles sont légitimes. Elles sont le reflet de besoin de respect, de dignité et d’intégrité.
Les parents, la terminologie et le poids social
Un enjeu récurrent réside dans le fait que certains parents d’enfants autistes perçoivent le débat autour de la terminologie comme une attaque ou une remise en question de leur rôle. Pourtant, ce débat est fondamental, car il touche à la dignité des personnes autistes. En maintenant une terminologie déficitaire, on perpétue une vision sociale où l’autisme est vu comme une carence, ce qui légitime implicitement les pressions pour que les autistes s’adaptent ou se fondent dans la masse. N’existe pas comme tu es est le message que la société leur envoie. En plus d’alimenter les fausses croyances sur l’autisme et d’empêcher l’autodétermination, ces pressions de conformité et de rappel que « nous avons quelque chose qui cloche », cela alimente également le cycle du masking et de la soumission, car la société continue d’envoyer le message que certains comportements ou expressions doivent être corrigés pour être acceptés.
L’impact environnemental et institutionnel
Loin d’être une question individuelle, ces dynamiques sont systémiques. Les institutions (écoles, systèmes de santé, lieux de travail) reproduisent et renforcent ces normes, contribuant à l’exclusion ou à l’adaptation forcée des autistes. La valorisation de certains types de différences (comme les HP) et la marginalisation des autres (comme l’autisme) révèlent une hiérarchie implicite basée sur des normes sociales et culturelles. Changer la perception de l’autisme à travers un langage respectueux permettrait de repositionner les responsabilités : ce ne sont pas les autistes qui doivent changer, mais bien les structures sociales et institutionnelles qui doivent s’adapter à la diversité cognitive.
Le trauma associé à l’autisme ne réside pas dans la neurodivergence elle-même, mais dans la manière dont la société interprète et réagit à cette différence. Le masking et la soumission ne sont donc pas des caractéristiques intrinsèques de l’autisme, mais des réponses à un environnement oppressif. Il est essentiel de changer la terminologie et de valoriser l’autisme comme une variation cognitive légitime, afin de réduire le stigma et d’améliorer la qualité de vie des personnes autistes.
Mélanie Ouimet, fondatrice de mouvement francophone de la neurodiversité et co-chercheuse en autisme
Références :
1. Bargiela, S., Steward, R., & Mandy, W. (2016). The Experiences of Late-diagnosed Women with Autism Spectrum Conditions. Journal of Autism and Developmental Disorders, 46(10), 3281-3294.
2. Hull, L., Petrides, K. V., & Mandy, W. (2017). Behavioural and Cognitive Sex/Gender Differences in Autism Spectrum Conditions. Autism, 21(6), 706-727.
3. Milner, V., & Cho, P. (2020). The “Masking” Dilemma and Its Impact on Autistic Adults. Autism, 24(8), 2186-2199.