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La non-conscience du danger chez les enfants autistes : déconstruire une croyance tenace

L’une des croyances entourant les enfants autistes est qu’ils n’ont pas conscience du danger. Cette idée, bien qu’ancrée dans l’esprit de nombreuses personnes, tend à négliger un point fondamental : les enfants, qu’ils soient autistes ou non, sont avant tout des enfants. La conscience du danger n’est pas une compétence innée mais une compétence qui progressive qui se déploie au fil du temps. Malheureusement, en insistant sur l’idée qu’un enfant autiste « ne comprend pas » ou « ne ressent pas » le danger, on risque de cristalliser cette perception et de freiner le développement de cette compétence essentielle.

Une compétence en développement 

Tous les enfants, quel que soit leur développement neurologique, doivent apprendre à identifier et comprendre les dangers de leur environnement. La conscience du danger est une compétence qui s’acquiert progressivement grâce à l’expérience et à l’apprentissage. Brièvement, c’est entre 18 mois et 4 ans que cette conscience du danger commencer à se développer, doucement selon chaque enfant. Entre 5 et 7 ans, parfois un peu plus, la conscience du danger et de ses propres actes se développent mais, cette conscience est encore limitée. Vers 10 ans, les enfants peuvent davantage appréhender les conséquences de leurs actes et les dangers potentiels par eux-mêmes. Par exemple, que l’eau du bain peut déborder si on l’oublie, qu’une chandelle allumer peut prendre en feu, que le four doit être éteint, etc. Rappelons que les expériences doivent être guidées par les parents et les adultes qui les accompagnent. Cette compétence ne se déploie pas seule : les enfants ont besoin de soutien comme pour toutes autres compétences qui s’acquièrent. Nous avons souvent cette croyance que l’enfant est autonome dans plusieurs aspects comme la planification, l’organisation, la gestion du temps et la conscience du danger alors que le besoin constant d’un adulte pour le soutenir est nécessaire. Puis, même chez les adolescents, la conscience du danger demeure complexe. Les adolescents peuvent prendre des risques et sous-estimé ces derniers. Leur cerveau est en plein chantier de construction.

Chez les enfants autistes, ce processus peut être différent, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils en sont incapables. Au contraire, avec une approche consciente et empathique, ils peuvent apprendre à reconnaître les situations potentiellement dangereuses, comme n’importe quel autre enfant.

Comprendre les raisons de cette apparence de non-conscience

Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi un enfant autiste peut sembler ne pas avoir conscience du danger. Voici quelques exemples :

1. Difficultés de communication : un enfant qui ne réagit pas à un avertissement verbal ne signifie pas qu’il ignore le danger, mais peut indiquer que la consigne ne fait pas sens ou qu’il a besoin d’être touché pour être bien attentif.

2. Sensibilité sensorielle : l’hypersensibilité peut amener certains enfants autistes à avoir moins conscience de leurs sensations corporelles puisque leur cerveau coupe certaines informations. Ainsi, il est possible qu’ils ne captent pas la chaleur, le froid, ou la douleur. Cela peut donner l’impression qu’ils ne sont pas conscients du danger. Nous pouvons les soutenir à ralentir pour être à l’écoute de leur corps.

3. Besoin de prévisibilité et de stabilité : les enfants autistes peuvent être avoir besoin de prévisibilité et de stabilité, ce qui les amènent à répéter des actions sans nécessairement en percevoir les risques potentiels. Par exemple, un enfant qui aime l’eau pourrait être attiré par une piscine sans comprendre le danger de la noyade ou selon son âge, son impulsion de joie est trop grande qu’il ne peut pas la freiner.

4. Focus Intense sur une activité : l’hyperconcentration sur une tâche ou une expérience peut rendre un enfant autiste moins réactif à son environnement immédiat, y compris aux dangers potentiels.

Vers une approche d’apprentissage progressif

Au lieu de simplement interdire ou de s’inquiéter de l’absence apparente de conscience du danger, il est crucial d’adopter une approche d’apprentissage basé sur le développement affectif et social de l’enfant. Par exemple, plutôt que de dire « Non, tu vas te brûler ! » à un enfant qui s’approche d’une source de chaleur, on pourrait doucement l’accompagner pour qu’il s’approche et ressente la chaleur à une distance sécuritaire. Cela lui permettrait de faire l’expérience de la sensation de chaleur et d’associer cette sensation à un avertissement, favorisant ainsi l’apprentissage du danger.

Plus on affirme qu’un enfant n’a pas conscience du danger, plus on risque de renforcer cette idée dans l’esprit de l’enfant, des parents et des professionnels. Au lieu de cela, il est préférable de reconnaître que la conscience du danger est une compétence en développement, et que chaque enfant, y compris les enfants autistes, peut l’acquérir avec le temps, la patience, et un soutien de la part des adultes.

Mélanie Ouimet, fondatrice du mouvement francophone de la neurodiversité, co-chercheuse en autisme

Références

1. Silberman, S. (2015). Neurotribes: The Legacy of Autism and the Future of Neurodiversity.

2. Gernsbacher, M. A., et al. (2006). Why does joint attention look atypical in autism? (Current Directions in Psychological Science, 15(5), 258-262.)

3. Autism Speaks. (2023). Safety and Autism. [https://www.autismspeaks.org/safety-and-autism].