Suite au premier épisode de la nouvelle série autisme, le commencement diffusé à TVA, plusieurs adultes autistes et également parents d’enfants autistes ont exprimé leur malaise.
Charles Lafortune déclare « On va vivre la bombe atomique qui explose dans la famille quand un diagnostic est donné ». Je comprends que la confirmation de l’autisme pour un de nos enfants peut faire vivre énormément d’émotions à plusieurs parents. Ces émotions sont toutes légitimes et elles ont besoin d’être entendues sans jugement.
La compréhension de l’autisme a beaucoup évolué au fil des dernières années, entre autres grâce à la parole de nombreux autistes. Plusieurs autistes tendent la main vers des parents qui se sentent très démunis. Malgré cela, nous continuons de perpétuer que l’autisme est une tragédie, une bombe atomique qui détruit les familles concernées.
Les autistes vivent plus de marginalisation, d’intimidation, de stigmatisation, de rejet, de négligence et de violences éducatives que les non-autistes. Une émission comme celle-ci contribue à ces violences structurelles, institutionnelles et sociales, malheureusement. S’il est nécessaire d’accueillir les émotions des parents et de les soutenir dans leur cheminement, il est également nécessaire de se pencher sur les violences, les traumatismes et l’intersectionnalité.
Via ce documentaire, nous alimentons la stigmatisation et les fausses croyances sur l’autisme. Nous y entendons qu’un enfant autiste ne joue pas de la bonne façon lorsqu’il fait tourner des petites roues. On nous fait peur parce que l’enfant ne se retourne pas quand nous ne l’appelons par son nom. Les expressions émotionnelles spontanées sont considérées comme anormales, immature et « trop ». Nous laissons croire que l’attachement à des objets est une problématique obsessionnelle. Nous laissons croire qu’un enfant autiste n’est pas en santé et qu’il est dans sa bulle parce qu’il ne nous regarde pas comme nous aimerions. Nous laissons encore croire aux parents que l’enfant ne fait pas de connexion avec eux et cela me révolte et m’attriste profondément.
Avons-nous prêté attention à comment nous nous connectons à eux? Nous sommes dans l’urgence d’agir plutôt que dans la connexion authentique. Nous forçons des contacts visuels, des jeux, des mots et pire encore, des bisous sans consentement et nous trouvons cela « cute » parce que l’enfant adulte est autiste. Certains autistes sont traités comme des objets, privés de leur autonomie et de leur pouvoir personnel.
Les rapports diagnostics sont alarmants. La source et les raisons d’être des comportements demeurent majoritairement incomprises. Comment voulons-nous que les parents ne ressentent pas de détresse, de peur, de stress et d’angoisse?
Pour ma part, ce n’est pas la confirmation de l’autisme que j’ai vécu comme un choc émotionnel mais, les descriptifs des rapports de diagnostics que mes enfants et moi-même avons reçus. Les différences de perception entre ma réalité vécue, ma compréhension de mon intérieur et des comportements de mes enfants étaient si différentes. C’est d’ailleurs la raison qui m’a motivé à fonder le mouvement francophone de la neurodiversité. Il était pour moi nécessaire et urgent d’apporter des pistes de compréhension pour les comportements, les émotions et des étapes de développement ainsi que des modes d’apprentissage des autistes, entre autres.
J’entends également qu’il y a des différences significatives entre les autistes. Certes et il y a des explications logiques autre que la dite sévérité. Puis, je suis concernée. J’ai un fils qui a reçu un diagnostic d’autisme sévère, avec une suspicion de déficience intellectuelle, dysphasie, dyslexie. On nous a recommandé des thérapies comportementales intensives en toute urgence, entre autres. Ce que nous avons refusé.
Je vois énormément de violence dans ces thérapies pour les autistes, aujourd’hui encore malgré les tentatives de faire autrement. Le mot violence est difficile à entendre. Et pourtant.
Lorsqu’on m’a suggéré de lire le livre de Johanne Leduc, la souffrance des envahis pour que je comprenne c’est quoi, un « vrai autiste sévère », j’ai été fortement bouleversée par les violences que ses deux enfants avaient subies. Forcé de demeurer assis dans le sous-sol avec l’intervenante malgré des pleurs insoutenables persistant pendant 2h tous les jours. Se soumettre à manger la nourriture offerte, au moment déterminé et sans possibilité de fuite en toute conscience que l’enfant va faire une association négative avec la nourriture et hurlera beaucoup. C’est nécessaire disait-on. L’enfant autiste n'a pas conscience des autres disait l’intervenante. L’enfant doit obéir à toutes demandes sans quoi, nous le prenons par le bras sans parler alors que l’enfant hurle parce qu’il déteste être touché. Forcé de regarder dans les yeux et nous lui insérions un smarties dans la bouche comme renforçateur lorsqu’il y avait contact visuel. Les professionnels sont d’une froideur palpable.
Ces enfants ont privé du réconfort et de sécurité de leur parent. Les parents étaient sous stress extrême constant. Nous avons brisé leur sentiment de compétence et leur instinct parentaux.
Ces enfants et leurs « symptômes graves » ne sont aucunement liés à l’autisme. Ce sont des manifestations du traumatisme grave complexe qu’ils ont vécu durant leur enfance. Qui va lever les yeux sur ces violences que nombreux enfants autistes subissent encore aujourd’hui et qui prendra soin de guérir ces traumatismes complexes engendrés par des séries d’interventions non adaptées à l’autisme et qui ne prennent aucunement en considération le développement affectif et social et les besoins reliés au processus de croissance cérébrale des enfants. Mais sommes-nous prêts à prendre conscience de ces violences, à nommer le traumatisme et à accepter que nous puissions faire autrement?
J'aurais assurément des répercussions suite à ce texte. Nous sommes plusieurs à avoir des craintes et même peur de prendre parole pour aborder ce sujet et pour oser nommer. C'est très difficile de prendre parole. Une partie de moi ne peux pas faire autrement, j'aurais le sentiment d'être complice de tout ce cirque.
Une émission comme celle-ci est extrêmement difficile à regarder pour moi tant je ressens de l’impuissance, de l’incompréhension, du non-sens face à ces petites et grandes violences que je vois faites sur des enfants autistes et face à ces parents que nous laissons dans leur anxiété et détresse. Cela me fend le coeur.
Mélanie Ouimet, fondatrice du mouvement francophone de la neurodiversité et co-chercheuse en autisme
* Partagé avec l'accord de Johanne.