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L’enfant neurodivergent dérange

Dans notre société occidentale actuelle, nous faisons très peu de place aux personnes atypiques. Nous avons des standards et des codes sociaux, nous avons des barèmes et des guides précis pour mesurer ce qui est considéré comme normal et ce qui est considéré comme anormal. Nous avons des attentes envers le développement et le comportement des enfants. Et dès lors qu’un enfant sort des normes établies, rapidement des questionnements surviennent quant à ses défis. Notre société fait énormément de violence structurelle à tout individu qui a une pensée divergente.

L’enfant neurodivergent dérange. Il est trop remuant ou trop dans son monde. Tout peut devenir une lutte. Tout est compliqué. Tout devient un problème. Rien ne coule tout seul. C’est avec lui que surviennent ces phrases autant malheureuses et parlantes sur les défis rencontrés par le parent : « Si tu étais moins intense aussi, je pourrais être une meilleure mère, je pourrais être plus disponible! », « Tu fais sortir le pire de moi-même! », « Arrête !!! », « J’en peux plus, je suis à bout de toi! », « Comment veux-tu que je t’aide si tu ne fais pas d’efforts hein? », « Te rends-tu compte de ce que tu nous fais vivre, réalises-tu? », « T’es ingérable! », « Je démissionnes! » Combien de souffrances pour tous!

L’enfant atypique se fait souvent remarqué par son refus d’obéir, son opposition féroce, son entêtement, sa provocation, son retrait social, son impulsivité, son manque de contrôle, son intensité émotionnelle, ses comportements agressifs, ses maladresses. Ce sont en fait des comportements externes qui sont interprétés par des adultes qui accompagnent ses enfants au quotidien. Ces comportements sont souvent les premiers signes marqués de sa divergence. Ils sont les signes qui inquiètent les parents. Les comportements qui exaspèrent les adultes. Les comportements incompris, tristement. C’est alors que l’enfant se voit pris en charge par des équipes, qu’il se voit recevoir un diagnostic et souvent, une médication. C’est dans cet espace également que l’on attend de l’enfant qu’il fasse des efforts pour entrer dans le moule ou du moins, pour se contrôler, pour se conformer aux attentes sociales. On attend de l’enfant, tant par la médication que le soutien reçu, qu’il ne soit plus un problème.

Bien sûr, les adultes ont de bonnes intentions. Les parents s’inquiètent pour le devenir de leur enfant. Leur souhait est de les soutenir, de les accompagner à ce qu’il devienne un adulte épanoui et accompli. Or l’enfant atypique ressent énormément. Il perçoit que les adultes qui l’accompagnent le voit comme un problème, un fardeau. Le simple fait d’être soi, juste et simplement soi, est jugé anormal par le parent, l’entourage, l’école, la société. Et l’enfant le ressent très bien. Sa grande sensibilité fait qu’il capte bien, même lorsqu’on ne lui dit pas clairement, qu’il dérange, qu’il a quelque chose qui cloche avec lui, qu’il est foncièrement inadéquat. Lorsqu’on est perçu comme un défaut de fabrication, lorsque les talents ne sont pas vus, lorsque notre valeur et notre potentiel sont sous-estimés, lorsque nos comportements ne sont pas compris, lorsque notre sensibilité est malmenée. Il devient alors très difficile pour l’enfant atypique d’avoir confiance en lui, de se déployer, de croître et de se construire.

Combien d’enfant, d’adolescents et même d’adultes se décrivent ou parlent d’eux comme « Je suis stupide », « Je suis nul », « Je ne vaux rien », « Je suis trop sensible », « Je suis un fardeau », « Je voudrais disparaître », « Je suis un moins que rien », « Je suis méchant », « Personne ne m’aime », « Je suis une mauvaise personne », « Je ne me sens pas à ma place », « Je n’ai rien à dire », « Je ne suis pas intéressant », « Je suis de trop », « Je suis inadéquat », « Personne ne veut de moi », « Je ne mérite pas qu’on m’aime », « Au fond de moi, il y a quelque chose de mauvais », « Je suis un monstre ». Comment avons-nous pu nous rendre là? C’est d’une tristesse de voir ces estimes de soi anéantie, ces potentiels humains perdus, Et c’est extrêmement choquant de voir ces intégrités piétinées et écrasées.

Tous les êtres humains ont besoin d’être en lien. Nous sommes des mammifères sociaux et nous avons besoin des autres pour exister. Les liens d’attachement sont encore plus importants et significatifs chez les neurodivergents. Le besoin d’authenticité, de confiance, d’empathie, de compréhension, de vulnérabilité, de sécurité, d’amour sont essentiels pour que les neurodivergents puissent s’épanouir pleinement. C’est dans ces liens et cet espace permis par le lien que les forces, le potentiel, s’estime de soi des personnes neurodivergentes croient et se révèlent. Ces espaces leurs permettent d’être véritablement soi. Mais, comment cela est-il possible lorsque nous entendons constamment : « Sois moins ceci, sois moins cela », « Sois plus calme! », « Sois moins exubérante! », « Sois plus posée! », « Sois moins intense! », « Sois moins soupe au lait », « Sois moins susceptible », « Sois plus sociable », « Sois plus souriante », « Sois moins arrogante », « Sois plus comme ton frère », « Sois plus comme les autres! ». Ce que nous sommes n’est pas assez bien, pas suffisamment acceptable ni convenable pour notre entourage, pour la société. C’est source de frustrations, d’incompréhension, d’injustice, de honte, de dévalorisation profonde. Et l’enfant n’a généralement pas les mots pour verbaliser cet énorme poids et cette énorme détresse qu’il porte.

S’il en vient à dire qu’il aimerait être normal, qu’il se déteste, qu’il est un monstre, nous sommes tristes avec lui de sa différence, de ses troubles, de son anormalité. Rarement nous avons le recul nécessaire pour prendre conscience que tous ces petits détails, toutes ces petites phrases, tous ces petits soupirs, toutes ces exaspérations que nous pouvons avoir en tant qu’adultes sont directement en lien avec cette détresse de l’enfant atypique.

Rarement nous avons suffisamment de recul pour aller voir à l’intérieur de soi ce qui nous dérange : est-ce l’enfant neurodivergent qui nous dérange ou est-ce les sensations et émotions désagréables qui sont éveillées en moi. Je nous invite à prendre du recul et à prendre responsabilité de nos émotions. Avoir un enfant neurodivergent est une belle occasion pour cheminer et grandir. Ce travail de conscience est exigeant et se fait un pas à la fois.


Mélanie Ouimet, fondatrice du mouvement francophone de la neurodiversité, co-chercheuse en autisme