Le 13 février dernier, un article paru dans le cahier du prof1 du journal de Montréal ayant pour titre « envoyer chier son enseignant dans l’indifférence » m’a profondément bouleversée. J’en suis encore à décanter les mots lus et à accueillir les différentes émotions qui émergent en moi. Il y a tant de détresse.
« Il faut vraiment avoir une vision merdique de l’enseignement pour oser proposer de corriger mes lacunes afin d’agir adéquatement face à des élèves violents. Je ne suis pas policier ni agent de sécurité. Je ne travaille pas dans un département de psychiatrie ni dans un centre jeunesse. Je veux juste enseigner. En paix. », un passage de l’auteur en réponse aux propos d’Égide Royer2 qui ne laisse pas indifférent.
Un département de psychiatrie. À pareille date l’an dernier, la régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) nous rapportait des données sur la consommation des antidépresseurs qui avait bondi de 28% chez les moins de 14 ans! 85% chez les moins de 4 ans! Le Québec est également le champion canadien de la prescription des psychostimulants3 . La médicamentation est la solution rapide. Depuis plusieurs années et remarquablement depuis la pandémie, une augmentation de réactivité émotionnelle a été observée. Cela s’est traduit par une hausse des troubles d’apprentissage, de concentration, de la démotivation, des troubles alimentaires, anxieux, dépressifs, addictifs. C’est grave. C’est un gros signal d’alarme. Ce qui se passe dans le cœur des jeunes est gros.
Ce pourrait-il que nos jeunes en détresse et médicalisés soient le reflet d’adultes en souffrance. En grande souffrance.
Quand on parle de prendre soin des enfants, certains enseignants deviennent réticents. « Nous ne sommes pas là pour faire du gardiennage, mais pour enseigner! » Bien sûr et prendre compte du développement affectif et social d’un enfant est essentiel. Cela demande énormément de compétences relationnelles et émotionnelles. Plusieurs enseignants en font d’ailleurs leur pratique et je remercie tout le personnel scolaire qui adoptent une pratique bienveillante, sécurisante et positive dans leur manière d’enseigner et d’interagir avec les jeunes.
Quand les adultes prennent soin des enfants en démontrant de l’empathie, de la chaleur et de la connexion, c’est tout un cycle vertueux de sécrétion d’hormones essentielles qui s’enclenche, tant pour l’enfant que l’adulte. L’ocytocine, hormone du bien-être, de l’empathie, du lien, de l’amour, du bonheur, est sécrétée. Cette hormone active la production de trois autres hormones essentielles : la dopamine, la sérotonine et les endorphines, essentielles à la créativité, la concentration, la motivation, le plaisir, la stabilisation de l’humeur, de l’émotivité et du bien-être.
Dès lors, nous comprenons à quel point les relations affectives empathiques, chaleureuses et satisfaisantes sont nécessaires sur toutes les sphères de notre vie. Quant à l’éducation, nous pouvons voir toute la profondeur qu’apporte la relation enseignant-élève. Prendre soin de nos jeunes favorise non seulement leur développement affectif et social, mais également leur développement moteur et cognitif. Sans réelle relation, il est impossible de s’épanouir pleinement sur le plan académique. Il devient impossible d’être pleinement présent, d’être bien dans son corps et dans son esprit, d’être attentif, créatif et disponible aux nouveaux apprentissages. Tout est interrelié.
Il n’est pas aisé d’être présent à l’autre et de démontrer de l’empathie quand les comportements sont provocants et agressifs. Alors que ce sont spécifiquement ces enfants qui auraient besoin d’un lien affectif sécuritaire pour apaiser la détresse émotionnelle qu’ils vivent. La qualité du lien entre l’enseignant et ces enfants sont les facteurs principaux qui contribuent à l’amélioration des compétences émotionnelles ainsi qu’à la réussite scolaire3.
C’est pour ces raisons que j’abonde dans le même sens du chercheur Égide Royer. La formation universitaire n’inclut pas suffisamment les neurosciences affectives et sociales dans leur programme. Pour comprendre les réactivités émotionnelles agressives des jeunes et pour accueillir les comportements dérangeants dans une posture sécurisante, empathique et bienveillante, le personnel scolaire a besoin de formation quant au développement affectif et social. Et même des formations sur la communication non-violente. Au cours des dernières années, l’intelligence émotionnelle a pris une place importante dans les milieux de travail. Pourtant, malgré cette prise de conscience quant à l’importance des relations socio-émotionnelles dans les milieux de travail, le milieu de l’enseignement tarde à emboiter le pas.
Les enseignants ont besoin de soutien. Sans soutien, il est ardu pour eux de faire autrement et de comprendre tous les enjeux qu’impliquent les relations affectives et sociales. Il est difficile de se mettre à la place de l’élève, de bien sentir comment il se sent et d’éprouver de la sollicitude empathique envers celui-ci. Par ailleurs, l’épuisement professionnel est très fréquent en enseignement et la principale cause de détresse et d’épuisement professionnel chez les enseignants est les difficultés relationnelles avec les enfants qui ont des comportements perturbants, provocateurs et oppositionnels.
Développer les compétences relationnelles des enseignants devient alors un facteur de protection de l’épuisement professionnel et est un gage de réussite tant professionnelle pour l’enseignant que scolaire pour les enfants.
Ainsi, l’enfant a besoin d’un village d’attachement entier pour bien évoluer. Tous les adultes qui côtoient l’enfant ont une influence sur son développement globale et le personnel scolaire peut faire une grande différence à tous les niveaux.
En toute conscience, prenons soin de nos cœurs.
Mélanie Ouimet, fondatrice du mouvement francophone de la neurodiversité et collaboratrice experte en autisme
Références :
1.https://www.journaldemontreal.com/2023/02/13/envoyer-chier-son-prof-dans-lindifference
2.https://www.journaldemontreal.com/2023/02/10/plus-deleves-violents-depuis-la-pandemie
3.https://www.lapresse.ca/actualites/education/2023-01-19/les-bebes-de-classe-plus-souvent-etiquetes-tdah.php 4. Baker et al., 2008