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La neurodiversité : un réel atout pour la survie de notre espèce

Les gènes des neurotypes atypiques persistent dans le patrimoine humain parce qu’ils présentent des avantages évolutifs. Les neurotypes que nous qualifions actuellement de troubles, de déficiences ou même de maladies psychiatriques sont en réalité de véritables facteurs de créativité, d’adaptabilité, de résilience.

Lorsque nous regardons sous l’angle de déficit, nous avons tendance à décrire les neurotypes que sous cet angle. Un autiste serait affecté au niveau de la socialisation, un dyslexique au niveau des symboles imprimés, un dyscalculique au niveau des nombres. En réalité, c’est TOUT un modèle complexe alternatif qui vient modifier la manière dont les neurodivergents traitent l’information à tous les niveaux. Nous faisons de graves erreurs lorsque nous considérons que le cerveau des neurodivergents se développe de la même manière que la majorité mais, que leur cerveau fait mal. En réalité, le cerveau établit un modèle divergent de connexions et de circuits cérébraux qui confère un autre type de fonctionnement du cerveau entier.

Dans notre société, nous avons, au fils des années, mis de l’avant certaines caractéristiques, certains modes de fonctionnement, certaines disciplines et facultés, certains modes d’apprentissages qui sont valorisés. Dans l’enseignement par exemple, le verbe est prioritaire alors qu’il existe une plurialité d’autres aptitudes qui servent notre collectivité et qui sont toutes aussi importantes.

Dans les années 80, Norman Geschwind a été le premier à suggérer que lorsque qu’un éventail assez grand d’individus possédant des particularités identifiées comme des déficits, il est essentiel de se demander s’il n’y aurait pas des avantages compensatoires[1]. Ainsi, il voit dans ces particularités non pas des déficits mais, des avantages évolutifs à l’espèce humaine. C’est ce même raisonnement que j’ai fait initialement pour l’autisme et par la suite, pour les autres neurotypes. La question n’est pas de noter des différences cérébrales en termes d’anomalies, mais bien de les observer avec ce questionnement : pourquoi ces cerveaux sont branchés de cette manière particulière? Le cerveau doit être observé dans son intégralité pour comprendre comment les connexions neuronales sont connectées pour conférer un fonctionnement particulier avec des avantages considérables pour l’espèce humaine. Les défis observables chez les personnes neurodivergentes ne sont pas les principales caractéristiques de la condition. Ils sont en fait le résultat d’un modèle d’organisation cérébrale totalement divergent de la norme et d’un traitement de l’information perceptif particulier.

Des psychologues de l’Université de Cambridge ont démontré que les dyslexiques étaient particulièrement doués pour explorer leur environnement et s’y adapter. Ces capacités d’exploration et d’adaptation sont un atout important pour la survie ce qui aurait joué un rôle important au sein de l’évolution de l’espèce humaine. Les auteurs émettent l’hypothèse que « les attributs cognitifs propres aux individus dyslexiques sont des caractéristiques pour lesquelles ils ont été sélectionnés par la nature. » Les dyslexiques ont des capacités visuo-spatiales globales[2], y compris la capacité d’identifier des « objets impossibles », c’est-à-dire la représentation d’une construction fictive d’un objet contraire aux lois physiques connues de la nature, comme le triangle de Penrose, le blivet ou l’Étoile d’Escher. Ils ont aussi des habiletés pour traiter des scènes visuelles en basse définition ou floues[3]. Ils perçoivent également les informations visuelles périphériques plus rapidement que les non-dyslexiques[4]. De tels atouts peuvent être utiles dans des domaines nécessitant une réflexion tridimensionnelle comme l’astrophysique, la biologique moléculaire, l’infographie, l’ingénierie, la génétique.

Les autistes ont des forces reliées avec des patterns ce qui est un atout au travail pour l’informatique, les systèmes mathématiques entre autres. Ils ont également des habiletés pour identifier des détails minuscules dans des modèles complexes[5]. Par ailleurs, ils obtiennent des scores significativement plus élevés au test d’intelligence non verbal des matrices de Raven qu’aux échelles verbales de Wechsler[6], ce qui implique des forces perceptives.

Toutes ces forces ont une explication évolutive de la raison de l’existence de toute cette diversité neurologique, autant passée que présente. Également, la pensée tridimensionnelle des dyslexiques aurait été adaptative pour les cultures pré-alphabétisées pour concevoir des outils, tracer des itinéraires de chasse, construire des abris. Les comportements d’impulsivité, de distractibilité et d’hyperactivité aidaient nos ancêtres à trouver de la nourriture ou à percevoir rapidement un danger et avertir le reste du clan. Comment ces atouts auraient-ils pu être considérés comme des troubles d’apprentissages à cette époque? Tout ne devient-il pas une question de contexte, de culture, de besoin, de norme sociale?

Également, notre société tend à penser et à fonctionner de manière individualiste. Cela se reflète également lorsque nous remarquons qu’une personne rencontre des difficultés ; ces défis lui son propre et son cerveau est dysfonctionnel. Au niveau de la recherche cognitive, il serait pertinent d’adopter une autre perspective que celle individuelle. Les humains sont interdépendants les uns des autres. Nous sommes des mammifères et nous vivons en groupe. Lorsque nous regardons la diversité cognitive au sein du groupe, nous pouvons y voir tous les avantages des intelligences multiples. La diversité a assuré notre survie au fil des années et continue de le faire à l’heure actuelle. Les intelligences multiples forment notre intelligence collective qui est assurément au cœur de notre capacité d’adaptation phénoménale. Vouloir supprimer, corriger, modifier, normaliser la pensée divergente serait un réel désavantage pour notre espèce humain qui deviendrait progressivement moins adaptative alors que nous devons affrontés constamment de nombreux défis existentiels, l’adaptabilité est essentielle.


Mélanie Ouimet, fondatrice du mouvement francophone de la neurodiversité et consultante experte en autisme

Références :

[1] Geschwind, N. (1982). Pourquoi Orton avait raison. Anne. Dyslexie 32, 13–30

[2] von Károlyi C, Vainqueur E, Gray W, Sherman GF. Dyslexie liée au talent : capacité visuo-spatiale globale. Cerveau Lang . 2003;85(3):427-431

[3] Schneps MH, Brockmole JR, Sonnert G, Pomplun M. Histoire des difficultés de lecture liées à un apprentissage amélioré dans des scènes à basse fréquence spatiale. PLoS ONE . 2012;7(4):e35724

[4] Geiger G, Cattaneo C, Galli R, et al. Des modes perceptuels larges et diffus caractérisent les dyslexiques de la vision et de l’audition. Perception . 2008;37(11):1745-1764

[5] Baron-Cohen S, Ashwin E, Ashwin C, Tavassoli T, Chakrabarti B. Talent dans l’autisme : hyper-systématisation, hyper-attention aux détails et hypersensibilité sensorielle. Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci . 2009;364(1522):1377-1383.

[6] Mottron L. Changer les perceptions : le pouvoir de l’autisme. Nature . 2011;479(7371):33-35