L’hypersensibilité est souvent à apprivoiser. Plusieurs personnes souhaitent ne plus ressentir puisque cela fait trop mal. Gustave Flaubert disait « Je suis doué d’une sensibilité absurde, ce qui érafle les autres me déchires. » Les jeunes enfants particulièrement la subissent surtout. Ils sont littéralement assaillis par leur environnement hyperstimulant. Ajoutons qu’ils ont un cerveau qui est immature, en plein développement et donc, ils ont besoin de soutien de la part des adultes pour réguler leur stress et leurs émotions. L’hypersensibilité est une force incroyable qui vient oui avec des défis mais, pas insurmontables. Au fil des années et avec les différents outils que nous développons, nous parvenons à apprivoiser cette hypersensibilité sans la subir.
Nous entendons beaucoup de phrases comme « Calmes-toi! », « Pas besoin d’exagérer! », « Arrête de réfléchir autant! », « Ah que tu es soupe au lait! Pas besoin d’être agressive! », « Tu es bien trop émotif, tu pleures trop! », « Tu me fait honte, calmes-toi! ». C’est difficile de voir notre hypersensibilité comme étant un atout quand nous nous sentons si incompris et quand la société dépeint une vision négative de la sensibilité.
Être hypersensible, ce n’est pas d’être hyperémotif. Ce n’est pas une immaturité émotionnelle. Ce n’est pas un non maîtrise de l’émotion. L’hypersensibilité n’est pas un tempérament psychologique. C’est neurologique. Nous nous servons autrement de notre cerveau et en soi, c’est un atout pour la société parce que nous avons un autre regard sur celle-ci. Une société est riche de par sa diversité, comme les écosystèmes les plus diversifiés sont plus viables. L’hypersensibilité amène à ressentir les émotions beaucoup plus intensément que la moyenne des gens. Les réactivités peuvent sembler exagérées mais, le vécu est bien réel et la réaction n’en est que conséquente à ce qui est ressenti. Et le comportement parfois violent de l’enfant n’en est que l’exposition. Les pleurs sans fin, les cris de mort, les hurlements de colère, de désespoir, les insultes, les coups de pieds dans les murs, les scarifications, le contrôle extrême sur des situations, les tentatives de suicides.
Alors, lorsque nous disons de telles phrases comme celles cités ci-haut à notre enfant, nous accentuons grandement sa détresse, son sentiment d’être anormal, d’être défectueux, son sentiment d’incompréhension. Une souffrance grandissante et durable s’installe à l’intérieur de lui. L’enfant a besoin d’être validé dans son ressenti.
Souvent et particulièrement chez les jeunes enfants, nous considérons que l’enfant est plus immature que les autres du fait qu’il réagit vivement et fortement aux émotions qu’il vit. Toutes ses réactivités sont plus intenses, plus impulsives, moins contrôler. Cela n’a rien à voit avec un retard au niveau de la maturation de son cerveau en soi mais bien avec l’intensité qu’il vit et des défis que cela implique pour réguler et tempérer les sensations intenses qu’il ressent dans son corps.
L’hypersensibilité amène des forces créatives très hors du cadre, artistiques très subtiles, visionnaires, philosophiques, humanismes, empathiques, très intuitives.
Je crois qu’en tant que parents le plus beau cadeau que nous puissions offrir à nos enfants est des racines et des ailes. Selon mon expérience, quand nous avons une approche de la parentalité positive qui offre de la sécurité, de la présence et de la liberté à l’enfant, nous lui permettons de croître et de développer ses compétences.
Les enfants et particulièrement les enfants hypersensibles recherchent profondément le lien qui leur dit : « Je te vois, tu existes et je vois la vie qui est en toi. » Je crois que c’est d’être présent pour eux, les accompagner dans ce qu’ils traversent et leur envoyer le message que nous avons confiance en eux.
Nous pouvons les accompagner en leur donnant la permission de vivre leurs émotions avec toute leur intensité. Nous pouvons offrir des espaces apaisants et de détentes pour eux. Être ouvert et sans jugement par rapport à l’intensité de leurs émotions. Être présent et accueillir tout ce qui est là. Sans rien faire, sans rien changer. Permettre à l’enfant de se déployer à son rythme, avoir confiance en lui qu’il va développer ses compétences, qu’il va croître et trouver des stratégies qui lui conviennent. Nous leur fournissons simplement un terreau fertile.
Les hypersensibles absorbent également tout comme des éponges hyper efficaces. Puisque le flot de stimuli est incessant, les hypersensibles doivent apprendre à gérer ces informations entrantes pour garder l’équilibre interne. Il est essentiel pour ces personnes, enfants ou adultes, d’évacuer, de trier, d’ordonner, de respirer, en bref, de faire de la place à l’intérieur de soi pour créer suffisamment d’espace intérieur pour affronter le quotidien. Pour les enfants hypersensibles, cette paix intérieure passe par la sécurité de leur environnement et donc, des liens qu’ils ont avec les adultes qui les accompagnent.
Dans un espace sécuritaire dans lequel l’enfant sera pleinement accueilli, il pourra déposer toutes les émotions intenses qu’il vit. Cultiver la vie émotionnelle et répondre au besoin de proximité est la clé de l’épanouissement des enfants hypersensibles, filles comme garçons.
Je pense aux petits garçons hypersensibles. Ils sont si mal compris. Leur mal-être se traduit souvent par des comportements perturbants comme l’hyperactivité, l’impulsivité, l’opposition, la provocation, l’agressivité. Également, nous avons d’énormes préjugés quant à la sensibilité masculine. De manière générale, nous avons de la difficulté à répondre à leurs véritables besoins soit parce que nous ne décodons pas ces besoins ou soit parce que la croyance populaire invite à « endurcir » les garçons. Un petit garçon sensible qui a besoin de proximité, de câlins, de lien, d’exprimer ses émotions sera vite qualifié de « trooooop sensible! », voire de faible et d’inadapté. « Il va falloir s’endurcir un peu! », « Le monde est difficile, il ne te fera pas de cadeau! », « Ne sois pas si douillet, il faut être fort! », tant de phrases qui éloignent le jeune garçon de ses émotions, de ses besoins, de son empathie et de sa compassion. Des phrases encore entendues trop souvent qui proviennent de cette croyance populaire qu’il est nécessaire, pour être fort, de se couper de nos émotions, de notre sensibilité, de la relation d’attachement pour affronter le monde dur dans lequel nous vivons et c’est encore plus vrai pour les garçons. Or, ce que nous encourageons, ce sont des habitudes de vie qui distendent le lien, qui nous éloignent de l’empathie, de la collaboration et de la communication.
Autant pour les filles que les garçons, les émotions intenses ont besoin de s’exprimer et d’être accueillies. Selon mon expérience, avec la parentalité positive, nous permettons de cultiver la vie émotionnelle immensément riche des hypersensibles tout en répondant au grand besoin de proximité de ces enfants. En ce sens, je préfère le terme soutenir que rassurer puisqu’il offre un espace relationnel qui permet autant la sécurité que la liberté. Être présent pour l’enfant sans envahir son espace intérieur par notre énergie.
C’est très difficile d’accueillir l’intensité émotionnelle. Notre société est anti-émotion. Nous avons collectivement peur des émotions. Nous cherchons inconsciemment à les taire, à les étouffer, à mettre un couvercle dessus et même pour la joie! C’est difficile d’accueillir un enfant qui vit de l’intensité, c’est difficile en tant que parent d’être seulement présent et de l’aider à se réguler. Ceux qui sont témoin de l’intensité émotionnelle se sentent souvent impuissants et c’est très difficile pour eux d’être face à nous ou à leur enfant. Les personnes qui accueillent l’intensité émotionnelle sont souvent déclenchées dans leur peur, leur sentiment d’impuissance. Nous avons toujours le réflexe de « vouloir faire » et de « vouloir aider » alors que le meilleur accompagnement est simplement d’offrir une présence qui amène le « Je te vois », « Je mesure à quel point ça te touche », « Je vois combien tu as peur », « Je vois l’étendue de ta tristesse ». Dur, dur!
Plusieurs comportements jugés de difficiles s’expliquent par ailleurs par cette hypersensibilité. Par exemple, ce que nous percevons comme un repli sur soi en autisme est souvent une sorte de pas de recul face à l’environnement surstimulant. C’est ce que nous pourrions nommées une compétence innée pour s’éviter une surcharge sensorielle. Un enfant qui n’est pas capable de parler tant il y a d’informations entrantes autant externes qu’internes. Le flux d’information entrant est énorme : auditif, tactile, visuel, intuitif, pensées, émotionnel, physiologique. L’enfant et même l’adulte entre en mutisme sélectif. Un enfant incapable de se concentrer, qui a besoin de bouger ou qui à l’inverse procrastine peut-être assaillit par des stimulations et donc par le stress et l’inconfort qu’il ressent dans son corps.
Un stimulus est une activation pour le système nerveux et donc, un élément de stress pour notre organisme. Un hypersensible en perçoit beaucoup et c’est très incommodant si nous ne parvenons pas à canaliser tout ce qui se passe en soi et quand nous atteignons un niveau de stimulation très élevé qui sature notre cerveau et notre corps. Dans ces moments, nous perdons l’emprise sur soi et c’est affolant. C’est inhérent à chaque être humain mais, beaucoup plus fréquent chez les hypersensibles qui se retrouvent saturés en stimulation plus rapidement.
Pour soi, je crois qu’il est essentiel d’apprendre à ressentir nos sensations corporelles, de tolérer l’intensité à l’intérieur de soi, de décoder nos émotions et nos besoins subjacents. Se donner la permission de pleurer, de vivre des deuils, d’être en colère, d’avoir peur. Se donner la permission de ressentir pleinement nos émotions et de les laisser nous traverser. De faire la distinction entre ce qui nous appartient et appartient à l’autre.
Également, de mieux se connaître, d’apprendre à refuser des invitations, à prendre soin de soi, à méditer, à être en contact avec la nature, à faire du yoga, à avoir un rythme de vie plus lent et sain. Tout ce qui est apaisant et qui permet un contact avec soi, avec notre intérieur. C’est ce qui nous permet de demeurer ancré et de moins perdre pied quand les stimulations sont très élevées.
En relation avec les autres, serait à mon avis de se demander comment faire un vivre-ensemble collaboratif de tous les modes de fonctionnements. Nos émotions sont notre boussole intérieure et de prendre le temps de les écouter permet de mieux comprendre nos besoins. Et cela nous permet d’entretenir de meilleures relations avec les autres. L’intensité de nos émotions nous appartient, nous en prenons la responsabilité. Nous pouvons le transmette à l’autre d’une manière à ce que ce soit informatif et constructif pour la relation. L’autre n’a pas à s’adapter et nous n’avons pas à nous adapter. Nous avons la responsabilité de ne pas se décharger en intensité sur l’autre mais, d’exprimer sainement ce qui se passe en nous. Nous devons tous apprendre à co-construire ensemble en tenant compte des besoins et des limites de chacun.
Quand les émotions deviennent trop intenses, revenir à la pleine présence et à l’ancrage : d’être dans notre corps pour s’aider à sortir de nos pensées. Parce que ce sont généralement nos pensées envahissantes et intenses qui sont difficiles à vivre et non l’émotion physiologique passagère. C’est de revenir à ce qui est présent ici et maintenant dans notre corps. Pas si simple! Ce sont des compétences qui se développent au fil du temps et toute la vie!
Mélanie Ouimet, fondatrice du mouvement francophone de la neurodiversité, co-chercheuse en autiste