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Anxiété, rumination et pensées excessives : un mécanisme de protection

La rumination mentale ou les pensées excessives en boucle sont souvent associées à l’anxiété. Cela se manifeste par un flux incessant de pensées répétitives, centrées principalement sur des événements passés ou des préoccupations futures. Bien que fréquemment liée à l’anxiété, cette rumination et ces pensées dépassent souvent cette simple explication que l’on suggère immuable. Je vous invite la piste des traumatismes et particulièrement ceux complexes, ceux qui sont liés à l’enfance1. Cette piste prend en considération l’intégralité de l’expérience émotionnelle et est beaucoup plus nuancée et profonde qu’un diagnostic de trouble anxieux immuable ou pathologisant ces réponses adaptatives normales et humaines.

L’impact des traumatismes précoces sur la rumination

Les traumatismes, notamment ceux vécus durant l’enfance, impliquent des expériences prolongées et répétées de stress, de violence émotionnel, physique ou de négligence. Ces violences affectent profondément le développement neurologique et émotionnel de la personne. Selon des recherches dans le domaine de la psychologie du développement, un traumatisme infantile non résolu perturbe la capacité de régulation des émotions, ce qui peut conduire à des schémas répétitifs de pensées anxieuses et rumination2. Lors d’un traumatisme complexe, la capacité d’adaptation est dépassée. Ainsi, les jeunes enfants se retrouvent submergés par leurs émotions qui sont incapables de traverser. Les émotions et l’expériences demeurent bloqués dans le corps et l’esprit. Nos différents mécanismes d’adaptation permettent à l’enfant de continuer d’évoluer mais, une partie de lui demeure piégé dans le passé tendant constamment de traiter, de résoudre et d’intégrer les événements passés. Le traumatisme complexe implique également des blessures d’attachement.

L’anxiété comme mécanisme de protection

En ce sens, les pensées répétitives peuvent être un mécanisme de protection face à une peur sous-jacente ou une menace perçue. Par exemple, dans le cadre d’un état de stress post-traumatique complexe, la personne reste en état d’hypervigilance, craignant inconsciemment que le traumatisme se reproduise3. La rumination devient alors une tentative, souvent infructueuse, de prévoir ou de prévenir ces éventuels dangers. Le cerveau, ayant appris à anticiper le pire, reste coincé dans une boucle de pensées anxiogènes, visant à se protéger de futures menaces. De plus, certaines études neuroscientifiques montrent que l’amygdale, une partie du cerveau liée aux réponses émotionnelles et à la peur, est hyperactive chez les personnes ayant vécu des traumatismes précoces. Cette hyperactivité pourrait être liée à l’apparition de pensées répétitives et intrusives, car le cerveau réagit de manière excessive à des stimuli perçus comme menaçants, même s’ils ne le sont pas en réalité4.

Peurs non résolues et leur lien avec la rumination

La rumination ne concerne pas seulement les événements passés, mais aussi les peurs non résolues. Souvent, ces peurs sont enracinées dans des expériences de l’enfance qui n’ont jamais été traitées ou comprises. Par exemple, un enfant ayant vécu des expériences d’abandon ou de négligence pourrait développer une peur profonde de la perte ou du rejet. Ces peurs peuvent resurgir à l’âge adulte sous forme de pensées répétitives autour des relations, des situations sociales ou professionnelles, laissant l’individu piégé dans une boucle d’anxiété anticipative : « Pourquoi elle ne me répond pas? », « Qu’est-ce que ça veut dire cet émoji? », « Ah non, elle m’appelle, ça doit être grave, je ne réponds pas », « Il me dit, fait comme tu veux, ça veut dire que ça ne lui tente pas, hein? ».

Dans le cadre des traumatismes complexes, ces peurs non résolues sont souvent aggravées par des schémas d’attachement insécures. L’attachement insécure, particulièrement l’attachement désorganisé, est fréquemment lié aux expériences traumatiques précoces . Les personnes présentant ce type d’attachement peuvent lutter pour établir des relations saines et sécurisantes, ce qui peut engendrer des pensées en boucle autour du rejet, de l’abandon ou de l’échec.

Traiter la rumination dans le cadre des traumatismes complexes

Comprendre que la rumination est une manifestation et non une cause permet de mieux orienter les approches thérapeutiques. La thérapie basée sur la pleine conscience (Mindfulness-Based Cognitive Therapy, MBCT) s’est révélée efficace pour réduire la rumination en aidant les individus à prendre conscience de leurs pensées sans s’y attacher. Cependant, pour les personnes souffrant de traumatismes complexes, une approche intégrative peut être nécessaire. Des approches basées sur la relation d’attachement, la sécurité relationnelle et corporelle, le focusing permettent d’aller explorer ces émotions en profondeur et de retrouver une sécurité intérieure.

La rumination mentale, bien qu’étroitement liée à l’anxiété, est souvent bien plus complexe lorsqu’elle est le résultat de traumatismes complexes vécus durant l’enfance. Les pensées en boucle deviennent alors une stratégie de survie face à des peurs non résolues, et la thérapie doit prendre en compte ces dimensions profondes du traumatisme pour permettre de retrouver une sécurité intérieure.

Mélanie Ouimet, fondatrice du mouvement francophone de la neurodiversité et co-chercheuse en autisme

Références :

1. Etkin, A., & Wager, T. D. (2007). Functional neuroimaging of anxiety: A meta-analysis of emotional processing in PTSD, social anxiety disorder, and specific phobia. American Journal of Psychiatry, 164(10), 1476-1488.

2. Ford, J. D., & Courtois, C. A. (2020). Treating Complex Traumatic Stress Disorders in Adults: Scientific Foundations and Therapeutic Models. Guilford Press.

3. Herman, J. L. (2015). Trauma and Recovery: The Aftermath of Violence–From Domestic Abuse to Political Terror. Basic Books.

4. Lyons-Ruth, K. (1996). Attachment relationships among children with aggressive behavior problems: The role of disorganized early attachment patterns. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 64(1), 64-73.