Dans notre société actuelle, les émotions, particulièrement celles qui sont difficiles, sont souvent perçues comme des ennemis à éliminer. Dès qu’elles deviennent inconfortables, envahissantes ou qu’elles perturbent notre quotidien, la réponse immédiate est souvent la médication. Des phrases comme « ça me pourrit la vie », « il faut agir avant que ça devienne invivable », ou encore « j’ai toujours des pensées envahissantes », illustrent cette tendance à vouloir éradiquer l’inconfort émotionnel et la détresse que certaines émotions nous font vivre. Bien que la médication ait son rôle à jouer dans certains cas, il est essentiel de réfléchir à notre manière d’aborder l’anxiété et d’autres émotions intenses, notamment dans le contexte de la neurodivergence.
L’anxiété, que l’on pourrait souvent considérer comme une peur bloquée, est une réaction naturelle à des situations perçues comme menaçantes. Dans un monde qui valorise la performance, la rapidité et le contrôle, il devient difficile d’accepter cet inconfort émotionnel. La plupart d’entre nous n’avons pas appris ressentir et à traverser les vagues émotionnelles. Nous avons appris à mettre un couvercle dessus, à rationnaliser, à intellectualiser, voire à être puni pour exprimer une émotion. À l’âge adulte, nous ne parvenons ni à tolérer ces vagues de sensations désagréables, encore moins à les ressentir pleinement pour les traverser. Pourtant, ressentir de la peur, de l’inquiétude ou de l’anxiété fait partie intégrante de l’expérience humaine. Ces émotions sont des signaux et des messagers essentiels qui nous informent de ce qui se passe en nous, dans notre environnement et parfois dans nos relations. Nos émotions sont notre boussole intérieure qui indique quels besoins est comblés ou quels besoins est non-comblés.
La neurodivergence, avec ses particularités sensorielles et émotionnelles, accentue souvent ces expériences physiologiques et corporelles. Ceux qui ressentent les émotions plus intensément se trouvent souvent submergés par des vagues d’anxiété plus fréquentes ou plus intenses. Ce qui, pour d’autres, pourrait sembler une légère perturbation peut, pour une personne neurodivergente, devenir un tsunami émotionnel. Et face à cette intensité, la pression sociale pour être fonctionnel dans les standards de normalité ne laisse que peu de place à l’écoute de soi, des sensations et des émotions. Au lieu d’accepter ces fluctuations, la tendance est de les réprimer ou de chercher une solution rapide, souvent pharmacologique.
Il est important de souligner que la médication peut offrir un soutien ponctuel ou nécessaire pour certaines personnes, surtout en cas de crises aiguës ou lorsque le quotidien devient vraiment ingérable. Cependant, la médication seule ne permet pas toujours de résoudre la cause profonde de l’anxiété et des inconforts. Apprendre à accueillir l’inconfort, à traverser les vagues émotionnelles sans les fuir, est une démarche fondamentale pour retrouver un équilibre durable. C’est un apprentissage qui se fait progressivement, souvent en lien avec des approches relationnelles et corporelles.
Dans un contexte où l’on perçoit de plus en plus l’anxiété comme une maladie à éradiquer, il est essentiel de rappeler que la gestion émotionnelle à long terme implique d’abord l’acceptation de ces sensations corporelles. Traverser ces vagues inconfortables, être à l’écoute de ce que notre corps nous communique et s’autoriser à ressentir sans jugement est une démarche essentielle si nous souhaitons aller vers plus de conscience et de profondeur. Il ne s’agit pas d’effacer l’anxiété ou de rendre les sensations moins intenses, mais plutôt d’apprendre à ressentir pleinement, à comprendre, à l’écouter, à réguler ces émotions dans un cadre bienveillant et sécurisant.
Les approches relationnelles, corporelles telles le focusing permettent d’instaurer une sécurité intérieure nécessaire pour explorer ces vagues émotionnelles. Ce travail se passe dans le corps : en étant attentif aux sensations physiques qui accompagnent les émotions, nous pouvons développer une tolérance à l’inconfort. Il est essentiel d’apprendre à reconnaître les signaux corporels d’une montée d’anxiété, d’une crise de panique, et d’y répondre non pas par une réaction immédiate de suppression, mais par une attention bienveillante. Respirer, se reconnecter à ses sensations, et traverser cette tempête permet à long terme de ne plus être constamment envahi et dépassé par celles-ci. Nous nous surprenons à les traverser dans l’inconfort avec confiance et sérénité.
En tant que société, il est temps d’accepter que l’inconfort fait partie intégrante de la vie et qu’il ne disparaîtra jamais totalement. Ce n’est pas en l’évitant à tout prix que la paix et la sécurité s’installeront en soi, mais en apprenant à le tolérer et à vivre avec. Cela est particulièrement vrai pour les personnes neurodivergentes pour qui l’intensité émotionnelle est souvent décuplée. Accepter ces vagues d’émotions, c’est finalement accepter une part de notre humanité, une part de nous-mêmes. Et en développant cette tolérance, nous retrouvons une forme de pouvoir personnel, sans avoir besoin de bannir ou de réprimer nos émotions systématiquement.
Mélanie Ouimet, fondatrice du mouvement francophone de la neurodiversité et co-chercheuse en autisme