Le syndrome de Gilles de la Tourette (SGT), officiellement décrit à travers la présence de tics moteurs et vocaux, est en réalité bien plus complexe. En adoptant une perspective globale, empirique et basée sur le paradigme de la neurodiversité, il devient possible de repenser ce neurotype comme une manifestation complexe et physiologique, liée à des réponses corporelles face à l’anxiété et à une perception accrue de l’environnement. Dans cette optique, le SGT n’est pas un trouble, mais une variation neurologique reflétant une manière différente d’être, de ressentir et d’interagir avec le monde.
Les tics et l’anxiété : une réponse physiologique
Les tics, qui sont au cœur du diagnostic de SGT selon le DSM-5, peuvent être interprétés non pas comme un dysfonctionnement, mais comme des réactions physiologiques à des stimuli internes et externes, notamment l’anxiété. Il est bien connu que l’anxiété joue un rôle amplificateur dans l’expression des manifestations corporelles. Les tics peuvent ainsi être considérés comme une réponse corporelle visant à libérer la tension et l’inconfort liés à l’anxiété. Cette réaction s’apparente à un mécanisme d’autorégulation physique face à des états émotionnels intenses, comme les gestes particuliers des autistes.
Hypersensibilité et perception accrue
Selon les données empiriques, les personnes qui ont reçu un diagnostic du syndorme de Gilles de la Tourette partagent une perception accrue de leur environnement. Pour ces raisons, elles combinent souvent plusieurs diagnostics qui partagent en fait tous ce même tronc commun : le cerveau perceptif. Ces conditions incluent l’autisme, le TDAH, et les DYS (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, etc.). Les personnes ayant le SGT, tout comme celles dans ces autres profils neurodivergents, ont une perception accrue de leur environnement. Cette haute sensibilité sensorielle et/ou émotionnelle pourrait expliquer pourquoi des éléments apparemment anodins de l’environnement déclenchent des comportements et gestes adaptatifs comme les tics. Cela rejoint l’idée que leur cerveau, hyperconnecté dans certaines régions perceptives, reçoit un nombre très élevé de stimuli. Selon des études en neurosciences, les personnes avec des profils neurodivergents montrent des connexions neuronales distinctes dans des zones cérébrales responsables du traitement sensoriel, de la régulation émotionnelle, et des mouvements automatiques. Cette hypersensibilité sensorielle, et les réactions qui en découlent, y compris les tics, pourraient être vues comme des réponses naturelles à un flot d’informations perceptives que le cerveau tente de réguler.
Remodelage du cerveau et plasticité neuronale
Un concept central à l’étude de la neurodiversité est celui de la plasticité modale croisée et de la plasticité neuronale. Les recherches de Brock et Fernette Eide, par exemple, ont exploré comment le cerveau des personnes avec des troubles DYS montre des schémas de remodelage cérébral, où certaines régions du cerveau se développent de manière différente en réponse à des besoins spécifiques. Ce concept peut s’étendre au SGT : au lieu de se concentrer sur les tics comme une simple anomalie neurologique, il est possible de les voir comme le signe de connexions neurologiques uniques, qui permettent à la personne de traiter et de réagir au monde d’une manière différente. Une réponse adaptative innée considérant l’hyperconnectivité dans certaines zones perceptives. D’où l’importance de considérer le cerveau dans sa globalité pour comprendre que les régions distinctes doivent être présente pour permettre la diversité humaine et les potentiels distincts.
SGT comme un tout : une approche holistique
Plutôt que de considérer le SGT comme un trouble strictement centré sur les tics, il peut être compris comme un neurotype global qui reflète une manière unique de percevoir, de ressentir et d’apprendre. Dans le paradigme de la neurodiversité, le SGT est un tout, impliquant des expériences émotionnelles distinctes, des réponses physiologiques à l’anxiété, des stratégies d’adaptation neurologiques ainsi qu’un mode d’apprentissage hors norme. Les personnes qui ont le SGT, tout comme les autistes ou les DYS peuvent avoir des émotions plus intenses ou différente. Cela peut se manifester par une approche différente dans l’apprentissage, souvent plus visuelle ou sensorielle, et par des besoins spécifiques d’adaptation dans des environnements plus calmes ou moins stimulants.
Repenser le SGT dans le paradigme de la neurodiversité
En somme, le syndrome de Gilles de la Tourette peut être compris non pas comme un trouble pathologique à traiter, mais comme une variation neurologique qui offre une perspective unique sur la manière dont certains individus interagissent avec leur monde intérieur et extérieur. Les tics peuvent être vus comme une manifestation physiologique, une réponse naturelle à une perception accrue et à des stimuli émotionnels, en particulier l’anxiété. Plutôt que de chercher à supprimer ces comportements par des approches médicales restrictives, il est crucial de les envisager dans un cadre empathique, relationnel, et adaptatif, qui reconnaît la richesse des expériences sensorielles et émotionnelles propres à ces personnes neuroatypiques.
Mélanie Ouimet, fondatrice du mouvement francophone de la neurodiversité et co-chercheuse en autisme
Références complémentaires :
1. Eide, B., & Eide, F. (2011). The Dyslexic Advantage: Unlocking the Hidden Potential of the Dyslexic Brain. New York: Penguin Group.
2. Leckman, J. F., et al. (2014). “Tourette Syndrome and tic disorders.” Lancet, 383(9918), 2106-2116.
3. Cavanna, A. E., et al. (2009). “The cognitive and emotional consequences of Tourette syndrome.” J Neuropsychiatry Clin Neurosci, 21(1), 13-23.
4. Robertson, M. M. (2000). “Tourette syndrome, associated conditions and the complexities of treatment.” Brain, 123(3), 425-462.
5. Kalanithi, P. S., et al. (2005). “Altered parvalbumin-positive neuron distribution in basal ganglia of individuals with Tourette syndrome.” Proceedings of the National Academy of Sciences, 102(37), 13307-13312.