La dysphasie est officiellement un trouble primaire du langage oral qui rend difficile la compréhension et/ou l’expression d’un message verbal, qu’il soit oral ou écrit. Cependant, a dysphasie peut être abordée sous un angle plus inclusif et juste lorsqu’on l’envisage sous le paradigme de la neurodiversité. Plutôt que de la considérer comme une pathologie, elle devient une expression naturelle de la diversité cognitive humaine. Cette perspective met en lumière non seulement les défis, mais aussi les forces uniques des personnes avec dysphasie. Ainsi, nous prenons en considération la globalité du fonctionnement du cerveau qui est construit sous un modèle atypique.
Un paradigme alternatif
Rappelons que le paradigme de la neurodiversité suggère que les différences cognitives, telles que la dysphasie, ne sont pas des déficits ni des troubles mais des variantes naturelles du cerveau humain. Plutôt que de pathologiser la dysphasie en ne considérant uniquement les difficultés de communication verbale, cette approche permet de reconnaître les compétences distinctes que ces neuroatypiques développent dans d’autres domaines.
Tout comme la dyslexie ou la dyspraxie, la recherche montre que la dysphasie est associée à une réorganisation cérébrale. Les travaux des docteurs Brock et Fernette Eide, pionniers dans l’étude de la dyslexie, illustrent cette idée en montrant que bien que les personnes dyslexiques rencontrent des difficultés avec la lecture, elles présentent entre autres une pensée visuo-spatiale exceptionnelle et des capacités de résolution de problèmes complexes. Pour ce qui est de la dysphasie, les différences dans le traitement du langage oral entraînent un potentiel et des forces uniques dans d’autres sphères cognitives.
Dysphasie et réorganisation cérébrale
Comme pour la majorité des personnes neuroatypiques, des recherches suggèrent que la réorganisation cérébrale des dysphasiques peut entraîner des connexions neuronales renforcées dans des régions moins utilisées par les individus neurotypiques. Par exemple, bien que la région du cerveau dédiée au traitement du langage soit moins active pour traiter les informations liées au langage, d’autres parties du cerveau, telles que celles impliquées dans la perception visuo-spatiale peuvent être plus sollicitées. Cette redistribution des ressources cognitives est au cœur du modèle alternatif perceptif. Il est donc essentiel d’adopter une approche plus large et inclusive pour soutenir les neuroatypiques dans des environnements d’apprentissage et de travail qui valorisent et mettre réellement à profit leurs forces innées.
Dysphasie et forces innées
Bien que la dysphasies oit principalement caractérisée par des défis dans la production et la compréhension du langage oral et écrit, les dysphasiques présentent une réorganisation cérébrale unique qui permet d’avoir un potentiel et des habiletés significatives dans d’autres sphères. Ces habiletés ne sont pas des stratégies compensatoires, mais bien l’expression de ce modèle neurologique unique. Voici quelques exemples empiriques de forces fréquemment observées chez les dysphasiques :
1. Perception fine des indices non verbaux : Les dysphasiques possèdent souvent une grande sensibilité aux signaux visuels et émotionnels. Cela peut leur permettre de mieux lire les expressions faciales, de percevoir des nuances dans le langage corporel, et de percevoir, ressentir et comprendre des situations sociales de manière subtile et nuancée.
2. Compétences visuo-spatiales : Comme pour la dyslexie, plusieurs personnes dysphasiques montrent une aptitude particulière dans la perception et l’organisation de l’espace. Ce potentiel peut se déployer et se manifester dans les arts visuels, en architecture, en mécanique ou encore dans la manipulation d’objets dans un espace tridimensionnel dans lequel leur intuition visuo-spatiale est particulièrement remarqué.
3. Créativité et pensée divergente : Les dysphasiques ont une flexibilité cognitive qui favorise une créativité accrue et une capacité à penser de manière originale. Ainsi, ils peuvent aborder les problèmes et les situations de manière créatives et originales en explorant des voies nouvelles ou non conventionnelles. Leur cerveau favorise des connexions uniques entre les idées.
4. Capacité d’innovation : les dysphasiques traitent les informations de manière perceptive et divergente. Ainsi, ils peuvent être particulièrement douées pour générer des idées novatrices et proposer des solutions originales dans des contextes compétences, en particulier ceux qui nécessitent une pensée en dehors des cadres traditionnels.
En abordant la dysphasie sous le paradigme de la neurodiversité, il devient évident que ce qui est souvent perçu comme un trouble d’apprentissage ou un déficit est en réalité un modèle cérébral perceptif qui confère des compétences uniques. En reconnaissant que le cerveau des dysphasiques suit ce modèle alternatif, il est possible de leur offrir des opportunités d’épanouissement dans des domaines où leurs forces peuvent pleinement s’exprimer. Il est essentiel d’adopter cette approche inclusive pour non seulement mieux comprendre, mais aussi valoriser la diversité cognitive.
Mélanie Ouimet, fondatrice du mouvement francophone de la neurodiversité et co-chercheuse en autisme
Références complémentaires
1. Eide, B. & Eide, F. (2011). The Dyslexic Advantage: Unlocking the Hidden Potential of the Dyslexic Brain. Hudson Street Press.
2. Nicolson, R. I., & Fawcett, A. J. (2010). Dyslexia, Learning, and the Brain. MIT Press.
3. Geschwind, N., & Galaburda, A. M. (1987). Cerebral lateralization: Biological mechanisms, associations, and pathology. MIT Press.
4. Leonard, L. B. (2014). Children with Specific Language Impairment. MIT Press.