Les crises foudroyantes reviennent souvent lorsqu’on aborde l’autisme et ses défis. Il semble être également difficile pour l’entourage de comprendre ce qui peut bien se passer dans la tête de la personne autiste qui s’effondre et perd tous ses moyens devant eux.
Quel pire sentiment en tant que parent que de se sentir impuissant face à des comportements qui nous apparaissent incompréhensibles et si vifs. Comment pouvons-nous soutenir notre enfant (ou notre conjoint) lorsque ce dernier refuse violemment l’aide qu’on lui apporte ? L’agressivité augmente à chaque geste bienveillant offert.
Pourtant, en soi, les autistes ne sont pas si différents des non-autistes. Lorsque nous recevons trop de stimuli, notre cerveau est sous tension. L’amygdale s’active et déclenche la sécrétion d’hormones qui activent à leurs tours les mécanismes de survies[1]. À ce moment, la réflexion et le recul sont impossibles. Le cortex préfrontal est déconnecté [2] pour privilégier l’instinct : le mode survie domine. La fragmentation[3], cette impression que tout s’effondre autour de nous, est commune à tous les êtres humains. Comme le souligne Joël Monzée[4], il s’agit d’un mécanisme de protection que notre cerveau utilise pour se protéger et il est essentiel à notre survie !
Pour les autistes, ce processus de base est le même. Comme le cerveau des autistes a un fonctionnement perceptif prépondérant, nous pouvons supposer que la fragmentation est beaucoup plus intense que pour les non-autistes. En autisme, on parle alors de repli autistique et d’effondrement autistique[5]. Ces deux états de crise sont provoqués par des surcharges émotionnels, cognitifs, relationnels et sensoriels. Le flot informatif (les stimuli) est beaucoup plus important puisque les aires sensitives sont sur-connectées. Plus nous recevons de stimuli, plus l’anxiété augmente. Puisque le cerveau des autistes perçoit beaucoup plus de détails, la fragmentation devient vraisemblablement plus importante. Les autistes sont des êtres hypersensibles à tous les stimuli internes et externes.
Ces effondrements surviennent donc lorsque le cerveau des autistes est saturé (et il sature souvent très vite !!) Il a besoin d’une pause. Tout est une question d’équilibre et cet équilibre peut être plus précaire d’une personne à une autre, d’un moment à un autre, selon l’âge de la personne également, selon la maturité de son cerveau. La crise en soi est donc nécessaire et salvatrice, bien qu’elle puisse nous bousculer et nous troubler par son intensité. Il n’y a rien d’anormal dans ce comportement.
Ainsi, un autiste ne fait pas des crises de non-sens comme on peut souvent le croire. Comme pour n’importe quel être humain, son cerveau se fragmente parce qu’il est saturé et instinctivement, c’est le mécanisme de survie qui embarque. C’est nécessaire pour se protéger ! La différence est possiblement dans les déclencheurs (les sources), dans l’intensité et dans la fréquence.
Lors de ces effondrements, certains autistes en arrivent à « s’automutiler ». La personne autiste n’a aucune intention de se blesser gravement ou d’attenter à sa vie. Il s’agit d’une solution, d’un mécanisme d’adaptation[6] que le cerveau des autistes a trouvé pour répondre à une surcharge trop importante.
Lorsque je suis en crise[7], initialement, je ressens fortement cet état de surcharge qui monte à une vitesse fulgurante. Je suis consciente que le point de rupture est atteint et à ce moment, il est souvent malheureusement impossible de revenir en arrière. Je suis complètement submergée par un sentiment d’impuissance et, derrières les paroles et gestes auto-agressifs, la panique s’installe.
J’ai l’impression que mon cerveau vient d’éclater en mille morceaux. Il n’y a plus de sens, plus de logique, c’est le véritable chaos. C’est affolant ! Tous changements, gestes, paroles, mouvements, dans l’environnement sont perçus comme de véritables agressions. Tout ce qui m’entoure devient danger potentiel auquel je dois impérativement me défendre. L’instinct et les mécanismes naturels de défenses dominent mon cerveau qui se fragmente rapidement. La douleur interne est vraiment insupportable. La solution rapide que trouve mon corps pour y répondre est soit de me mordre la main fortement, de me tirer les cheveux ou de taper sur mes tempes. C’est le moyen pour que tout ce chaos s’arrête, pour me rassembler, pour limiter les éclats dans mon cerveau. Sans quoi, j’ai le sentiment que je vais m’évaporer, me faire aspirer dans un trou noir ou que je vais mourir. C’est un état de panique extrême à l’intérieur mais qui dégage un état de rage lorsqu’on le perçoit de l’extérieur. L’aide venant de l’extérieur n’est vraiment pas la bienvenue. Ensuite, il est possible que je demeure observatrice de mon environnement durant quelques minutes, voire quelques jours.
Certains diront que la personne autiste nage en plein délire, voire qu’elle est en psychose, qu’il s’agit d’un dérèglement psychique, que ses comportements sont démesurés. Dans la réalité, il s’agit d’une déstabilisation, d’un déséquilibre interne. Le cerveau doit retrouver son équilibre et la crise est nécessaire pour y parvenir. C’est une question de physiologie et de biologie humaine.
L’aide externe ne peut pas être bien reçu. Le cerveau est en mode protection. Comme tous éléments sont perçus comme une agression, l’aide aussi bienveillante soit-elle ne peut être accueillie par la personne au moment de l’effondrement. Comme Isabelle Filliozat le mentionne, il ne faut pas chercher à calmer l’enfant ou l’adulte mais lui apprendre à se calmer. Le meilleur moyen est simplement d’accueillir ses émotions avec une qualité de présence empathique, bienveillante et sécurisante.
Le cerveau prend plusieurs années avant d’atteindre sa pleine maturation et par conséquent, cela prend des années avant d’avoir la capacité de prendre du recul, de réfléchir et d’anticiper les surcharges sensorielles pour éviter l’effondrement.
Mélanie Ouimet
[1] Il me cherche, Isabelle Filliozat, lattes, mai 2014
[2] Il me cherche, Isabelle Filliozat, latte, mai 2014
[3] Et si on les laissait vivre, Joël Monzée, le dauphin blanc, janvier 2018
[4] Et si on les laissait vivre, Joël Monzée, le dauphin blanc, janvier 2018
[5] https://decouverteaspi.wordpress.com
[6] https://decouverteaspi.wordpress.com
[7] https://quebec.huffingtonpost.ca/melanie-ouimet/autisme-adulte_b_10397802.html