Lorsqu’on se base sur la définition de la neurodiversité, il est à mon sens impossible d’exclure des êtres humains.
Il me semble également impossible de tracer une ligne bien définie entre la neurologie, la biologie et la psychologie, donc de ce qu’on appelle à l’heure actuelle dans le paradigme médical, la maladie mentale. Un être humain est un tout indissociable. Aucun être humain n’est à l’abri des « troubles psychologiques ». Certains sont peut-être plus à risque selon leur génétique, leur neurologie, leur bagage de vie, leur contexte familial et environnemental, etc.
En ce sens, la neurodiversité est effectivement inclusive. Nul doute à ce niveau. Aucun être humain ne sort de ce concept. Cependant, à mon avis, nous devons faire attention aux dérives.
La neurodiversité compare le cerveau à un écosystème : un réseau sain et en équilibre. Ainsi, en comparant le cerveau à un écosystème plutôt qu’à un ordinateur comme il était commun de le faire auparavant, nous prenons en considération que le cerveau humain – comme l’être humain entier d’ailleurs – n’est pas une machine. Cela considère qu’il y a du mouvement à l’intérieur comme à l’extérieur. Un écosystème peut subir des perturbations et un déséquilibre. C’est normal!
La neurodiversité ne doit pas servir de masque aux défis psychologiques en tentant d’y donner des explications neurologiques et/ou génétiques.
Au cours du XXe siècle, les découvertes sur le plan de la génétique ont amené la théorie selon laquelle l’être humain serait programmé génétiquement. L’ADN, les gènes et le génome seraient au cœur du stockage de l’information génétique qui encode le cycle biologique d’un individu. Seulement, la génétique ne permet pas de tout expliquer.
Il y a environ 15 ans, lorsque je faisais mes études en biochimie, on nous présentait le projet du séquençage du génome humain comme étant une sorte de déchiffrage du « livre de la vie » (James Watson). Les codes rendant possible la lecture des gènes représentaient environ 2% du génome humain. L’ADN non codant, le 98% restant, était nommé l’ADN poubelle (Junk DNA) de manière simpliste et réductionnisme. Pourtant, en 1995, Henri Atlan émettait des réserves sur cette « fatalité » génétique. « La notion de programme génétique est la métaphore la plus répandue et la plus prégnante de la biologie actuelle. Elle sert à se représenter les mécanismes par lesquels la structure des gènes détermine le développement de l’individu et l’apparition de caractères normaux ou pathologiques dans la structure et les fonctions de l’organisme. Mais ce n’est qu’une métaphore qui permet de donner un nom à un ensemble de mécanismes que l’on connaît encore très mal.[1] »
La vision populaire d’une génétique immuable et fatalisme prétend que nous héritons d’un code génétique déterminé. Il est alors suggéré que certaines maladies physiques ou psychologiques se transmettent de génération en génération comme une véritable épidémie inévitable sur laquelle nous n’avons aucun pouvoir. On y réduit ainsi toutes les pathologies à la génétique puisque ces dernières seraient réduites à des altérations d’un ou plusieurs gènes. Alors qu’en réalité, nous pouvons naître avec une prédisposition génétique nous rendant plus vulnérables sur le plan physique ou psychologique, mais nous avons un pouvoir sur l’expression ou non de cette prédisposition et des difficultés qui peuvent en découler.
À la base, notre ADN serait contrôlé par notre environnement. Au niveau cellulaire, l’ADN est contenu dans une couche protectrice protéinée. Lorsque les protéines de cette membrane protectrice perçoivent des signaux de l’environnement, elles activent certains « interrupteurs » de la séquence d’ADN de cette cellule. « Les gènes ne peuvent pas se déclencher ou non par eux-mêmes … Ils ne peuvent pas se contrôler eux-mêmes », fait remarquer le docteur en médecine et biologiste moléculaire Bruce Lipton. Si la cellule n’a pas de stimuli environnemental, elle ne fait rien. « La vie est due à la réponse de la cellule à son environnement. » La cellule reçoit continuellement des signaux lui donnant de l’information sur son environnement, ce qui permet à chaque cellule d’un être humain, contenant donc le même ADN, de se spécifier en cours de développement (cellule de la peau, du rein, du cœur, du foie) ou encore, d’ajuster son activité selon les informations reçues.
Ainsi, au-delà de la génétique, il y a l’épigénétique. « L’épigénétique correspond à l’étude des changements dans l’activité des gènes, n’impliquant pas de modifications de la séquence d’ADN et pouvant être transmise lors des divisions cellulaires »[2]. L’épigénétique peut modifier de manière réversible, transmissible et adaptative l’expression des gènes.
De manière plus simpliste, nous pourrions dire que l’ADN contient le code génétique et l’épigénétique permet d’optimiser ou à l’inverse, de détériorer le potentiel génétique.
Déjà en 1942, le mot épigénétique apparaissait grâce au généticien Conrad Waddington qui s’intéressait au mode de régulation des gènes. À l’heure actuelle, l’épigénétique est un domaine de recherche de plus en plus florissante mais qui demeure encore bien mal connu et sujet à de nombreux débats et controverses.
Au cours des dernières années, les chercheurs ont découvert que l’ADN non codant avait en fait une fonction importante dans le développement des organismes vivants. Le projet ENCODE a démontré que 80% du génome (contrairement au 2% initial) aurait une fonction active dans la régulation de la production des protéines et a permis de dresser une carte détaillée des fonctions du génome en identifiant plus de quatre millions « d’interrupteurs » génétiques qui permettent aux gènes de s’exprimer ou non[3]. Bien que cette étonnante affirmation suscite de vives réserves dans le domaine scientifique, l’impact de l’épigénétique a un rôle considérable indéniable sur notre vie. Plus récemment, un collectif de chercheurs de Harvard, du MIT et de Stanford[4], a également fait rapport que malgré bien des incertitudes, l’ADN non codant serait la clé vers la compréhension de la régulation de l’activité des gènes et par conséquent, d’apporter des réponses entre autres quant à certaines maladies telles que le cancer, l’Alzheimer, le vieillissement.
En d’autres termes, l’ADN non codant (junk DNA) ne serait pas inutile, bien au contraire. Il représenterait l’épigénome, l’ensemble des gènes d’une cellule pouvant subir une modification épigénétique, sans modification du code génétique (non mutagène). Cette modulation de l’expression des gènes dépend beaucoup de nos comportements, nos émotions, nos modes de vie[5].
Dans son dernier livre, La symphonie du vivant[6], Joël de Rosnay fait une belle et simple comparaison pour nous aider à comprendre la génétique et l’épigénétique. « On peut considérer que les notes de musique sur une portée sont la génétique, tandis que l’épigénétique est la symphonie exécutée à partir de ces notes. » L’interprétation des différentes notes influence la symphonie tout comme l’épigénétique influence l’expression du patrimoine génétique. Ainsi, comme il le mentionne, « la justesse et la beauté de la symphonie dépendront de la qualité du jeu de chaque musicien autant que de la direction et de la coordination assurées par le chef d’orchestre. » Tant la symphonie musicale et l’être humain se doivent d’être en équilibre, d’être harmonieux et de former une intégralité. Pour Joël de Rosnay, notre organisme fonctionne comme un grand orchestre pour interpréter la symphonie du vivant, notre symphonie unique et singulière.
Ainsi, sans subir de mutations (aucun changement dans la composition des lettres du code génétique), certaines bases nucléotidiques (composantes de l’ADN) peuvent être modifiées par l’addition d’un groupement acétyle ou méthyle, c’est ce que l’on nomme l’acétylation ou méthylation de l’ADN, deux processus antagonismes de l’épigénétique. Ces groupements permettent d’ouvrir, de fermer, de moduler des « interrupteurs » des gènes. L’acétylation et la méthylation conditionnent donc l’expression des gènes de chaque cellule.

Notre mode de vie influence grandement l’épigénétique qui vient ainsi jouer un rôle important quant à notre santé physique et mentale. L’épigénétique est adaptative, continue et nous permet ainsi d’avoir une réelle influence sur notre génome (épigénome). Nos gènes, notre ADN, notre génome ne sont pas une fatalité en soi, bien au contraire.
Ainsi, lorsque nous affirmons que des troubles sont neurologiques et d’origine génétique, involontairement ou volontairement, beaucoup de confusions et surtout, beaucoup d’inexactitudes sont générées dans la société par certains professionnels.
Il est impossible de tracer une ligne droite entre ce qui appartient à notre génétique (ADN) et avec notre environnement (bagage de vie, antécédent familial, comportements, milieu de vie). Certaines caractéristiques neurologiques, comme la plasticité modale croisée en autisme, semblent faire partie intégrante des autistes et ainsi teinter d’une manière particulière leur perception de la vie. Ces caractéristiques neurologiques, lorsque bien verbalisées dans le respect de la personne, permettent souvent de donner un sens à certains comportements en apportant certaines réponses qui viennent apaiser la détresse. Pour autant qu’on n’en fasse pas une maladie ni un trouble! Nous sommes tous des humains entiers avec des besoins uniques et spécifiques, ne l’oublions pas. Maintenant, nous savons également que nous avons un impact considérable sur notre pouvoir personnel quant à notre santé physique et mentale, quant à l’équilibre de notre cerveau, quant à notre équilibre intérieur.
Nous comparons généralement le cerveau humain à un ordinateur. Cette comparaison sous-entend que nous pouvons corriger ou optimiser le cerveau avec des médicaments simplement comme on pourrait réparer ou « upgrader » une pièce d’un ordinateur. Par exemple, similairement en ce qui a trait au TDAH, Annick Vincent nous offre une métaphore[7] qui est devenue très populaire. Elle y compare le cerveau de l’enfant inattentif à l’œil de la personne myope. Ainsi, l’œil de la personne possède tout ce qu’il faut pour voir, mais il a besoin d’un outil pour être optimal : les lunettes. De cette même manière, le cerveau de l’enfant inattentif possède également tout ce qu’il lui faut, mais il a besoin d’un outil pour être optimal : la médication. Une métaphore bien astucieuse aux premiers abords, mais extrêmement préjudiciable pour les enfants et leur entourage.
De manière réductrice, nous tombons dans une dichotomie comme Thomas Armstrong le mentionne : le cerveau est fonctionnel ou dysfonctionnel. Or, le cerveau n’est pas un ordinateur, l’être l’humain n’est pas une machine, pas plus qu’il n’est un programme prédéterminé. L’humain est un être entier et complexe. Lorsque nous souhaitons aider une personne en détresse ou en souffrance, nous devons tenir compte de cette personne dans son intégralité, c’est-à-dire tenir compte de la relation du corps et de l’esprit. Lorsque nous considérons le cerveau humain comme un écosystème ou que nous utilisons par exemple, la métaphore « forêt-cerveau[8] », nous permettons premièrement, de reconnaître la beauté de la diversité humaine et nous considérons la manière dont les éléments nutritifs (l’environnement, l’entourage) font pousser les végétaux et nous reconnaissons son potentiel de se régénérer (de retrouver l’équilibre) même en ayant subi des dommages (des déséquilibres) importants. L’objectif du paradigme de la neurodiversité serait ainsi d’accompagner une personne à retrouver son équilibre en allant à la source véritable et profonde des comportements, sans chercher à surmédicamenter ni à normaliser la personne.
Également, nous considérons encore les émotions comme étant des réactions subjectives. Alors qu’en fait, une émotion est une réaction physiologique à une stimulation[9]. Les émotions ont pour fonction de produire une réaction spécifique à la situation déclencheur et de réguler l’état interne de l’organisme pour maintenir l’intégralité de l’individu. Lorsqu’elles sont bien ressenties et exprimées, les émotions sont salvatrices et réparatrices. Lorsque nous ressentons des émotions, notre cerveau déclenche la production de plusieurs hormones telles que l’ocytocine, le cortisol, la dopamine, la sérotonine, l’adrénaline. Ces hormones ont un impact direct sur notre organisme : rythme cardiaque, pression artérielle, système immunitaire. L’énergie électromagnétique émise par le cerveau circule dans tout notre organisme. Parfois, cette énergie a un impact positif sur nos cellules, parfois l’impact sera négatif. Ainsi, il y aurait donc une interdépendance entre la régulation de nos émotions et l’expression de certains gènes[10].
Nous sommes souvent réticents à tenir compte de cette réalité du lien entre le corps et l’esprit alors que pourtant, les deux sont indissociables à la santé et au bien-être de l’être humain. L’épigénétique et les neurosciences nous démontrent aujourd’hui ce que la médecine chinoise renommée pour son approche intégrative préventive pratique déjà depuis fort longtemps. Nos émotions, nos comportements, nos réactions, notre mode de vie modèlent constamment l’expression de nos gènes et influencent notre bien-être.
Mélanie Ouimet
[1] Transversales Science Culture n°33, mai-juin 1995
[2] https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/epigenetique
[3] Genome.gov | ENCODE Participants and Projects ». The ENCODE Project: Encyclopedia Of DNA Elements. United States National Human Genome Research Institute. 2011-08-01. Retrieved 2011-08-05.
[4] https://www.nature.com/articles/nature14248
[5] La symphonie du vivant, Joël de Rosnay, LLL les liens qui libèrent, 2018
[6] Ibib
[7] Mon cerveau a besoin de lunettes, le TDAH expliqué aux enfants, Annick Vincent, les éditions de L’HOMME, 2017
[8] Your Fantastic Elastic Brain Stretch it, shape it, Joann Deak, Sarar Ponce, LITTLE PICKLE STORIES, 2010
[9] Que se passe-t-il en moi? Mieux vivre avec ses émotions au quotidien, Isabelle Filliozat, poche MARABOUT, 2013
[10] The genie in your genes: epigenetic medicine and the new bilogy of intention, Dawson Church Ph.D., ENERGY PSYCHOLOGY, third edition, 2014