Comme à chaque année, la rentrée scolaire est autant source de joie, de fébrilité, d’excitation que d’appréhension, d’anxiété et d’incertitudes. Cette année, la rentrée sera bien particulière avec la COVID-19.
Malgré tout notre bon vouloir, l’anxiété, les incertitudes et les craintes feront sans aucun doute partie des émotions dominantes pour bon nombre d’adultes, tant chez les parents que le personnel scolaire. Et pour les jeunes également, d’autant plus qu’ils sont des éponges émotionnelles ; ils ressentent et absorbent celles des adultes.
Lors de l’annonce de son plan scolaire modifié pour l’entrée de septembre, le ministre de l’Éducation Jean-François Roberge mentionnait entre autres combien il était important que les jeunes puissent retourner en classe pour revoir leur enseignant ainsi que tout le personnel du milieu puisque ce sont bien souvent des personnes signifiantes dans leur vie. Pourtant, rien dans son plan ne prévoit mettre un accent sur le développement affectif des jeunes. Comme au printemps dernier, des moyens sont déployés pour s’assurer que les élèves rattrapent lesdits retards scolaires. Le gouvernement prévoit « un investissement de 20 millions de dollars pour embaucher davantage de techniciens en éducation spécialisée, d’enseignants et de tuteurs » et cette mesure servira à « faire du rattrapage, de la récupération, de l’aide aux devoir, et de tisser des liens entre les familles et les écoles (…) pour aider les jeunes à surmonter leurs difficultés. »
Bien sûr, les apprentissages cognitifs sont importants. Cependant, est-ce que nous nous trompons encore une fois dans les priorités? Nos jeunes qui vivent des bouleversements majeurs depuis des mois n’auraient-ils pas plutôt besoin d’un accompagnement relationnel et émotionnel?
Les enfants s’adaptent entendons-nous un peu partout.
Non! Les enfants ne s’adaptent pas seuls sans ressource et sans réponse à leurs besoins fondamentaux. L’être humain ne s’adapte pas à des manques. Nous devons arrêter de croire que nos jeunes peuvent faire face à tous ces bouleversements sans qu’il n’y ait de conséquences sur leur développement affectif, social et intellectuel. Nous nous mettons carrément la tête dans le sable lorsque nous croyons ainsi en la pensée magique pour nous déculpabiliser.
Cette pensée nous démontre à quel point notre ignorance est grande quant au développement affectif des enfants et adolescents. Nous manquons également de connaissance sur le fonctionnement du cerveau humain. Les expériences émotionnelles interfèrent dans les apprentissages. Un jeune qui est anxieux, triste, inquiet, fâché ne sera pas disponible pour apprendre et c’est tout à fait normal. L’enfant éprouvera un mal-être à l’intérieur de lui et il sera impossible pour lui d’être attentif, concentré, créatif et motivé. Il aura par ailleurs de la difficulté à identifier verbalement ce qu’il ressent ; les enfants ont besoin d’un adulte pour les aider à décoder ce qui se passe en eux.
Les enfants compensent. Compenser, ce n’est pas s’adapter! Nous aussi d’ailleurs, adultes, nous compensons et nous nous épuisons dans ce monde de performance. Avant la pandémie, plusieurs jeunes souffraient déjà d’anxiété, d’angoisse de séparation, d’attachement insécurisé, d’agressivité, de dépression. Leurs comportements dérangeants en reflétaient d’ailleurs leur grand mal-être intérieur. La médicalisation de leurs émotions était monnaie courante. Eh bien, depuis le début de la pandémie, le Québec connait une hausse de diagnostics psychiatriques ainsi qu’une hausse de médicamentation subséquente – plusieurs jeunes ont vu revoir la dose de leur médicamentation à la hausse. Trouvons-nous cela normal? Est-ce acceptable? Est-ce sain? Est-ce véritablement de l’adaptation? Est-ce le prix que nos jeunes doivent payer face à notre déni de leurs états émotionnels et face à notre manque de connaissance et de responsabilisation?
Si les enfants s’adaptent autant que nous le disons, comment se fait-il qu’ils soient sur-médicamenter à ce point? Comment se fait-il qu’ils manquent de concentration, qu’ils souffrent d’anxiété, que leurs comportements soient opposants, agressifs, colériques et que le nombre de crises augmentent?
Les enfants ont des besoins affectifs immensément grands. Lorsque ces besoins de relations, de sécurité, d’appartenance ne sont pas comblés, ils ne peuvent plus fonctionner de manière saine et optimale. Ils ne peuvent plus apprendre convenablement. Ils ne peuvent plus s’épanouir selon leur plein potentiel.
Nos enfants ne souffrent pas de troubles psychiatriques ni de troubles d’apprentissage. Ils souffrent cruellement du manque de relation sécuritaire. Ils souffrent de ne pas être entendus et compris.
Toutes ces mesures sanitaires augmentent l’anxiété déjà présente chez nos jeunes avant la pandémie. Une anxiété qui sera davantage présente que les autres années de rentrée scolaire. Un enfant anxieux aura des comportements dérangeants ; c’est sa manière d’exprimer et de nous communiquer maladroitement son mal-être. Nos jeunes auront besoin d’être accueilli pleinement dans les émotions tumultueuses qu’ils vivront. Ils auront besoin d’adultes présents à l’entourent d’eux qui en prendront soin. Ils auront besoin d’un village d’attachement pour répondre à tous leurs besoins affectifs. Le village, ce sont les parents, les grands-parents, mais également les enseignants et tous les acteurs du milieu éducatifs.
Sans une écoute de leur vécu intérieur, comment pouvons-nous penser que nos jeunes seront disponibles à faire des apprentissages? Comment pouvons-nous croire un instant que les enfants pourront rattraper desdits retards dans un tel environnement?
Pensons simplement à nous, adultes, qui sommes bousculés depuis des mois pour de multiples raisons. Comment pouvons-nous même s’attendre à ce que parents et enseignants soient disponibles pour accueillir ces émotions des jeunes? Comment les enseignants, déjà saturés en temps normal, pourront-ils prendre soin des jeunes tout en mettant une fois de plus, l’accent sur l’aspect académique?
Nos priorités ne devraient-elles pas plutôt de s’assurer que chaque adulte accompagnant puisse être suffisamment disponible émotionnellement pour recevoir les émotions intenses des jeunes dont ils ont la responsabilité de prendre soin? Ne devrions-nous pas mettre l’accent sur l’aspect humain plutôt que sur la performance scolaire?
Si nous souhaitons réellement que nos jeunes s’adaptent aux changements et qu’ils soient résilients dans l’adversité, nous devons leur offrir des bases solides. Nous devons prendre le temps de leur offrir un espace sécuritaire. Et ces bases débutent par des relations affectives sécurisantes. Nourrir des relations harmonieuses, bienveillantes, chaleureuses et empathiques ne doivent plus être considérées comme des alternatives superficielles, farfelues et utopiques. C’est une nécessité développementale neurobiologique.
Mélanie Ouimet