La décharge de colère n’est pas un trouble neurologique

Le 17 avril dernier, une mère a témoigné de l’expulsion de son enfant de son CPE en raison de ses troubles de comportement[1]. À la lumière des commentaires, force est de constater que les parents et les adultes accompagnateurs sont en détresse et dépassés face à ces comportements dérangeants et qu’ils manquent cruellement de ressources, de connaissances sur le développement et sur la maturité cérébrale des enfants. 

Que s’est-il passé pour que nous arrivions à croire qu’un enfant en crise soit en psychose? À quel moment en sommes-nous venus à oublier que les émotions, aussi fortes et intenses soient-elles, soient une pathologie? À quel moment avons-nous perdu, en tant d’adulte, confiance en nos propres ressources intérieures pour accompagner un enfant? Pourquoi préférons-nous collectivement se faire croire que nos enfants souffrent de plus en plus de troubles mentaux? Serait-il plus facile de croire que les enfants ont tous un trouble mental que de remettre en question nos interventions et de prendre notre part de responsabilité dans la détresse que vivent nos enfants? 

Nous préférons collectivement faire croire à des enfants, à de JEUNES enfants, que leur cerveau est troublé, qu’ils sont troublés EUX dans leur esprit, que d’assumer notre désarroi et notre impuissance envers l’enfance, les laissant croire que ce qu’ils ressentent n’est que résultante d’un dysfonctionnement. Nous « pathologisons » l’enfance, nous médicalisons l’enfance. C’est terrible que de ne plus avoir le droit de ressentir! 

Un enfant en crise n’a pas un trouble de comportement! La colère est normale, saine et souhaitable, comme toutes autres émotions. Il est également normal qu’une crise de grande intensité puisse durer de quelques minutes à 45-60 min[2]. Ces réactivités sont normales compte tenu de son âge et de sa maturité cérébrale. 

La décharge de la colère, bien qu’explosive chez de jeunes enfants, est nécessaire pour un retour à l’équilibre. Il n’en revient qu’aux adultes d’offrir une présence chaleureuse et d’offrir des outils à l’enfant une fois le retour au calme chez ce dernier. Un enfant ne peut maitrise seul ses émotions. Il a besoin de l’aide d’un adulte pour contenir ses émotions qui débordent et l’envahissent. Il a besoin d’une présence calme, ferme et bienveillant.

Certains enfants seront plus réactifs que d’autres. Certains seront ainsi plus susceptibles de faire davantage de crises plus fréquemment et plus intensément. Les enfants ayant une grande sensibilité par exemple peuvent se retrouver à ressentir plus fortement leur environnement, à avoir plus de difficulté à gérer les sensations que provoquent les émotions dans leur corps. Ils peuvent être plus anxieux. Ils peuvent être plus sujet à ressentir un énorme malaise et ils ont beaucoup de difficulté à le communiquer avec des mots. Ils ne peuvent pas prendre de recul seul, réfléchir et analyser ce qu’ils vivent.  

Il s’agit d’un passage normal de l’enfance. Il est primordial que les adultes qui accompagnent l’enfant l’apaisent plutôt que de le réprimander. Notre propre attitude en tant qu’adulte peut augmenter la détresse chez l’enfant, que ce soit par un simple regard exaspérer, un haussement de voix, un cri, ou simplement en demandant à l’enfant de se calmer. Alors que la crise est la manière de se calmer… 


Il demeure extrêmement exigeant d’accompagner un enfant en crise. La décharge émotionnelle de la colère est puissante et vive. Plusieurs cris, hurlements, gestes brusques, besoin de lancer des objets et de tout saccager sur son passage, etc. surviennent fréquemment. L’accueil de cette émotion est particulièrement difficile. Le sentiment d’impuissance face à l’expression du mal-être de l’enfant est bien présent. 

Par contre, ce n’est qu’avec une présence bienveillante, rassurante, ferme et douce que l’enfant pourra, progressivement, apprivoiser ce qui se passe en lui. Un enfant en crise a surtout besoin de tendresse. Offrir un câlin ou poser un regard tendre à l’enfant est parfois suffisant pour faire descendre un peu la tension ressentie chez ce dernier. Chaque geste doux envers l’enfant le sécurise et l’aide à apprivoiser ses émotions et à maitriser ses impulsions. « Un comportement parental affectueux a un impact positif considérable sur la maturation des lobes frontaux de l’enfant.[3] » Par ailleurs, l’amour et la tendresse sont des carburants pour l’enfant. Ce sont des besoins vitaux et leur réservoir affectif se vide beaucoup plus rapidement que celui des adultes et ce qui est souvent à l’origine des crises.  

Il est donc normal pour un enfant de ne pas comprendre ce qui se passe en lui lorsqu’il est en crise. Il ne comprend pas ce qu’il ne ressent ni plus qu’il ne peut se contenir seul. L’enfant non accompagné risque de se sentir honteux de ressentir la colère et monstrueux de réagir si violemment sans pouvoir se contrôler. Nous devons le rassurer et lui dire que ce qu’il ressent est normal et lui apprendre à nommer ses émotions.

Il s’agit d’un travail d’accompagnement à long terme! Nous avons tendance à rechercher des méthodes rapides et quasi miraculeuses. Or, le cerveau d’un enfant est immature et le cerveau humain prend plusieurs années avant d’atteindre sa pleine maturité. Les colères explosives sont simplement la « conséquence de l’immaturité du cotez préfrontal et des circuits relayant l’information entre le cortex et le système limbique Le cerveau supérieur n’est pas assez développé pour pouvoir gérer de tels orages émotionnels.[4] » Un jeune n’aura pas cette capacité de réfléchir seul à ces actes lorsqu’il vit une tempête émotionnelle avant 13-14 ans nous rappelle Isabelle Filliozat[5]

Ce qu’il faut savoir également c’est que tous comportements sont des manières de communiquer, parfois très maladroitement un besoin, une détresse. Un enfant en crise émotionnelle très puissante est littéralement envahi et submergé par des émotions qui le dépasse. Il est normal qu’il n’entende plus rien et qu’il soit hors de contrôle. 


En tant qu’adultes, nous avons la responsabilité d’accompagner les enfants. Nous avons la responsabilité de gérer nos propres émotions, d’aller chercher les outils pour favoriser notre propre paix intérieure afin d’offrir une qualité de présence optimale envers l’enfant[6].  Nous avons la responsabilité de nos propres interventions envers eux que nous nous devons de remettre en question. 

Il devient bien trop facile et commun d’attribuer aux enfants un trouble de santé mental et ce sont eux, qui en subiront les conséquences et risque d’être blessés en silence[7]. Gardons en tête que la colère est une émotion humaine normale et saine. Les enfants vivent de grandes tempêtes émotionnelles. C’est déconcertant, mais de grâce, n’en faisons pas une pathologie !


[1] https://www.tvanouvelles.ca/2019/04/17/expulse-a-5-ans-de-son-cpe

[2] Isabelle Filliozat, au cœur des émotions de l’enfant, 

[3] Catherine Gueguen, pour une enfance heureuse

[4] Catherine Gueguen, pour une enfance heureuse

[5] Isabelle Filliozat, il me cherche, comprendre ce qui se passe dans son cerveau entre 6 et 11 ans

[6] https://joelmonzee.com/developper-la-pleine-presence/

[7] La neurodiversité, 20e anniversaire de la naissance du concept, collectif, chapitre Joël Monzée, p.191-220, mars 2019

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