« L’ignorance nourrit la peur.
La peur empêche la compréhension
nous enfermant dans nos croyances. »
Le cirque de l’autisme
Un jour, j’ai regardé mon garçon qui jouait tranquille, seul, sans dire un mot. Un frisson de peur m’envahit subitement.
Cette pensée terrifiante de perdre tout contact avec lui. Qu’il disparaisse dans sa bulle pour ne plus jamais en sortir. Qu’il se referme sur lui-même comme la perle précieuse d’une huître. Inaccessible. Solitaire. Prisonnier de ses pensées et de ses angoisses.
Si affectueux, si doux, si facile, il était devenu agressif et plein de colère. Les crises se succédaient, les coups s’accumulaient. Les quelques mots utilisés auparavant étaient maintenant inexistants. Les journées à aligner voitures et tracteurs se multipliaient et le temps qu’il y consacrait augmentait de manière exponentielle. La belle évolution et le cours « normal » de son développement semblaient s’être transformés en une régression à plusieurs niveaux.
Et s’il se faisait engloutir par « son autisme » ?
Tant de questionnements, de craintes et d’angoisses envahissent nos esprits. Le mot autisme a encore aujourd’hui une connotation extrêmement négative. L’autisme est paniquant. Autisme. Un mot qu’on ose à peine prononcer. L’idée d’une simple suspicion pour son enfant est source d’anxiété, de culpabilité, de honte, parfois même d’échec.
La désinformation abonde et propage l’idée que l’autisme est un déficit social et que les autistes ont des intérêts restreints limitant leur capacité à s’ouvrir au monde qui les entoure. On y encourage les thérapies comportementales afin de rattraper lesdits retards développementaux et de déjouer l’autisme dans l’espoir d’y retrouver l’humain caché derrière l’autisme.
Toutes ces inquiétudes que l’on transpose sur les parents, toutes ces fausses croyances que l’on transmet à la population, c’est puissant !
Laurent Mottron publie en 2016, « L’intervention précoce pour enfants autistes » (Éditions Mardaga – 2016) remettant en doute les idées reçues, et surtout, nos approches éducatives sur l’autisme.
Au-delà du fait que ce livre refonde entièrement les idées reçues sur l’autisme ; au-delà du fait que Laurent Mottron soit un homme exceptionnel ayant su voir les autistes comme des humains à part entière avec leurs différences neurologiques ; au-delà du fait qu’enfin un chercheur ait l’audace de publier un livre affirmant que l’autisme n’est pas une maladie à guérir et remettant en doute les interventions faites sur les enfants autistes, ce livre me bouleverse complètement.
Je me demande comment nous avons pu nous rendre là. Comment avons-nous pu commettre tant d’erreurs ? Comment a-t-on pu tirer des conclusions aussi erronées en se basant uniquement sur des observations ? Comment avons-nous pu faire subir tant de traitements monstrueux à des êtres humains ? Comment avons-nous pu condamner des milliers de vies humaines à la souffrance ? Comment l’humanité a-t-elle pu manquer d’humanité à ce point ?
Aujourd’hui, nous assistons au cirque de l’autisme[1]. Une maladie, un trouble élaboré de toutes pièces. Des psychanalystes, des psychiatres, des chercheurs, des scientifiques, des organismes, des parents d’enfants « atteints » unissent désespérément leurs forces pour trouver du financement afin de combattre ce mal terrible. Un fléau épidémique dont la croissance est si fulgurante qu’elle surpasse l’augmentation du cancer, du SIDA et du diabète réunis !
Le cirque de l’autisme émane des campagnes de peur et de propagande, et sème la terreur dans les familles en laissant derrière lui des idées erronées et scandaleuses sur l’autisme.
Un cirque où on raconte un peu partout sur les tribunes médiatiques l’histoire de parents martyrs vis-à-vis la souffrance de leur enfant ; où on expose publiquement des enfants autistes pour montrer leurs comportements désobligeants, leurs maniérismes, leurs bizarreries, leurs jeux obsessifs, leurs crises, comme s’ils étaient des bêtes de foire. Le tout, en applaudissant leurs « exploits ».
À force de rejet, d’acharnement, de tentatives de guérison, nous avons fait en sorte que les autistes deviennent, pour certains, des personnes inaccessibles, solitaires, prisonnières de leurs pensées et de leurs angoisses. Nous avons redéfini les autistes en tant que personnes souffrantes et incapables d’auto-détermination.
Ces observations ont été faites par des humains dépourvus d’humanité, dépourvus de tolérance, dépourvus de sens critique et enfermés dans leurs interprétations techniques. Ils ont commis le plus grand artéfact scientifique : ils ont omis la personne derrière les caractéristiques. Ils ont omis l’intérieur. Ils ont omis les émotions et les pensées. Ils ont omis la nature humaine.
Depuis des dizaines et des dizaines d’années, cette bêtise laisse derrière elle des milliers de personnes blessées, des milliers de personnes en souffrance, des milliers de personnes internées, soumises à des traitements abominables tel que la camisole chimique, traitement psychotropes, électrochocs, thermo-choc (le packing). Des milliers d’enfants que l’on tente de normaliser à tout prix. Des milliers d’enfants soumis à des thérapies comportementales non éthiques. Encore aujourd’hui, des milliers d’enfants subissent au quotidien une violence banalisée.
Nous assistons au paradoxe de l’autisme : ces êtres humains qualifiés d’asociaux et d’apathiques ont subi de multiples mauvais traitements de la part de personnes dites normales, humaines, empathiques et sociales.
Voici ce qu’est en réalité le scandale de l’autisme.
D’une manière simpliste, tout ça pourquoi ? Parce que des enfants communiquent différemment ? Parce que des enfants s’expriment différemment ? Parce que des enfants jouent différemment ? Parce que des enfants pensent différemment ? Parce que des enfants ressentent la vie de manière différente ?
Et un jour, on a décidé que cette différence normale était devenue une maladie mentale, un trouble psychiatrique, puis, aujourd’hui, un trouble neurodéveloppemental.
Est-ce notre incompréhension de la différence qui nous a enfermés derrière nos œillères dans une fausse normalité inventée et imposée de toutes pièces ?
La réalité étant que des observations ont été faites, des standards ont été posés et une maladie a été inventée : l’autisme.
Aujourd’hui, derrière le cirque autistique, des humains se battent pour leur reconnaissance positive en tant qu’individus, au-delà de toutes particularités neurologiques.
Mélanie Ouimet
[1] Michelle Dawson, BETTELHEIM’S WORST CRIME Autism and the Epidemic of Irresponsibility